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Chronique • L’amour avec un grand P

21 juin 2017
Michelle Bergeron | B.A. Sexologie, M.A. Sexologie clinique (c.); Maryse Trempe | Sexologue, M.A. Sexologie clinique (c.)
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Tadoussac, mars 2017. J’occupais le seul bistrot du village qui sait offrir boisson et réconfort en ce temps frais de l’année. C’est pendant un long silence placé entre deux notes folk qu’une amie a commencé à me raconter sa vie de polyamoureuse. Intéressée par tout ce qui entoure les mystères de la sexualité humaine, je me suis tue pour écouter ce qu’elle avait à me raconter.

Pendant qu’elle me déballait ses histoires et ses espoirs, la néophyte en moi s’est amusée à fantasmer sur ce qu’était le polyamour. Je me suis tout à coup retrouvée sur une île Grecque à la Lesbos, entourée de corps divins. J’étais plongée au coeur d’un excédent de plaisir. De la harpe jouée par des chérubins venait adoucir le portrait; la per-fec-tion, quoi!.

Puis, j’ai quitté l’île. En reprenant le fil de ses paroles, toutes mes valeurs se sont bousculées. Ma raison me rappelait à l’ordre. Je passais en revue tout ce que j’avais jusque-là défendu : couple, famille, fidélité. Ces rêves construits au fil des années étaient-ils les miens ou ceux de ma société? Je n’y voyais plus clair.

Le sfumato venait d'être totalement éclairci par une jalousie amère. L’image idyllique dans laquelle j’étais plongée prenait une tournure sadique. Je me suis retrouvée dans Guernica avec les polyamoureuses potentielles de mon chum. Le préfixe poly- laisse planer un petit goût équitable qui le différencie bien du mot infidélité. Ce petit suffixe dérangeant qui lui laissait le droit de laisser entrer d’autres personnes entre nous. J’ai alors placé le concept de polyamour au rancart, parce que la princesse Disney en moi était sous le choc. Parce que Cendrillon avait toujours eu juste un prince et que le prince avait toujours eu juste une Cendrillon. J’étais perdue.

J’ai donc décidé de contacter ma collègue en sexologie afin qu’elle m’aiguille sur ce concept non monogame méconnu, hors-norme et parfois stigmatisé (Easton et Hardy, 2013). Ensemble, on a fouillé la littérature afin d’être mieux éclairées sur ce modèle relationnel. 

Poly à quoi?

Le mot polyamour a fait son apparition dans le langage courant en 1992 (Veaux, 2012). Avant l’arrivée de ce concept, les personnes adhérant à ce mode relationnel étaient perçues comme des personnes en relation ouverte (Veaux, 2012). Étymologiquement parlant, polyamour renvoie aux termes « amours multiples » qui provient du grec et du latin (Keener, 2004). Le polyamour est donc la volonté, la pratique ou l'acceptation de vivre des relations amoureuses, romantiques et sexuelles impliquant plus de deux personnes qui s’engagent dans la relation en pleine connaissance de cause (Veaux, 2012; Matsick et al., 2014; Veaux et al. 2014). Cela implique que les protagonistes vivent la relation en donnant leur consentement librement dans une situation où les enjeux sont bien connus par tous et toutes (Veaux, 2012; Veaux et al., 2014). En résumé, le polyamour se caractérise par un refus de l’exclusivité obligatoire, par l’honnêteté totale et par la divulgation complète et inévitable à toutes les personnes impliquées directement ou indirectement par la relation (Sheff, 2006). 

Attention de ne pas adhérer aux croyances populaires! Le polyamour n’est pas un synonyme de polygynie ou de promiscuité aléatoire (Veaux, 2012).

Par sa diversité d’équations possibles, il devient presque plus simple de définir le polyamour par la négation; ce ne sont pas des histoires d’un soir à répétition et ce n’est pas pour ceux ou celles qui refusent de s’engager.

Le polyamour est plutôt la liberté de pouvoir aimer et de pouvoir poursuivre plusieurs relations amoureuses simultanément avec le consentement de toutes les personnes impliquées (Crooks, 2009; Veaux et al., 2014).

Partant du principe que l’être humain est un être aux besoins multiples, les personnes polyamoureuses croit généralement que ses besoins ne peuvent pas être comblés par une seule personne (Mitchell et al., 2014; Veaux, 2012). Ce mode relationnel offre donc à ses adeptes la possibilité de choisir différentes personnes qui pourront répondre à la diversité de leurs besoins (Veaux, 2012).

Le regard des autres

Le polyamour reste jusqu’à présent marginalisé (Easton et Hardy, 2013). Il reste assez méconnu du grand public, et ce, malgré la littérature de plus en plus abondante à son sujet (Klesse, 2014; Matsick et al. 2014 ; Easton et Hardy, 2013; Mitchell et al., 2014). Toutefois, puisqu’il appuie ses bases sur l’honnêteté, la transparence, le respect et la responsabilité, l’opinion publique se veut plus tolérante envers les personnes polyamoureuses qu’envers celles qui vivent des aventures ou des expériences extraconjugales (Matsick et al., 2014).

En effet, l’idéal du couple-monogame-à-perpétuité est si profondément ancré dans les mentalités qu’il est omniprésent dans la société occidentale (Easton et Hardy, 2013).

Ces croyances enracinées entourant l’amour dyadique idyllique teintent les valeurs, les désirs sexuels et amoureux ainsi que les attentes sociales des individus (Easton et Hardy, 2013).

Les relations hors mariage et l’échangisme sont souvent jugés comme étant uniquement axés sur la sexualité, ce qui rend ces comportements plus enclins à la critique sociale (Matsick et al., 2014). De leur côté, les relations polyamoureuses incluent davantage la romance et l’engagement émotionnel, ce qui les rend moins ciblées par la critique (Matsick et al., 2014). Il n’est pas sans dire que l’idée du polyamour ébranle considérablement deux piliers majeurs des relations amoureuses occidentales : chaque individu connaît dans sa vie un seul et unique amour avec un grand A et la sexualité est à son meilleur dans un contexte amoureux (Matsick et al., 2014, Easton et Hardy, 2013). Comme quoi ces piliers rendent l’amour multiple impossible et la sexualité sans amour vide de sens.

Afin de bien cerner les phénomènes, il est important de distinguer le polyamour de l'échangisme. L’échangisme est un comportement tandis que le polyamour est un mode de vie (Crooks, 2009). C’est la philosophie qui est différente, car lorsque l’on parle du polyamour, on parle de relations amoureuses incluant ou non la dimension sexuelle. Contrairement aux idées préconçues, les personnes polyamoureuses ne sont pas des « débauché[.e.]s» (Veaux, 2012).

Elles peuvent avoir du sexe occasionnel comme elles peuvent décider de ne pas en avoir. Tout dépend de l’entente entre les partenaires. Notez bien que le choix de ce modèle relationnel ne prédit pas des comportements échangistes (Easton et Hardy, 2013). 

Free style 

Les recherches ont révélé qu’il y a autant de façons de vivre le polyamour qu’il y a de personnes polyamoureuses (Klesse, 2014; Veaux, 2012). Chaque personne choisit la manière de construire ses relations amoureuses. Par la liberté qu’il octroie à ses partisans, le polyamour peut prendre une multitude de formes (Klesse, 2014).

Une panoplie de mécanismes et de mots sont utilisés par cette communauté qui font d’elle une entité vivante en constante évolution. Par exemple, il est possible de parler de la « compersion » qui désigne la joie ressentie face au nouveau ou à la nouvelle partenaire de son amant.e (Veaux, 2012). On parle aussi de « métamour » qui désigne les partenaires de nos partenaires ou encore de « polyfidélité » utilisé pour nommer une relation comportant une multitude de partenaires qui se ferment à de nouveaux ou nouvelles arrivant.e.s (Veaux, 2012).

En ce qui a trait aux différents mécanismes, le polyamour propose différentes constructions modelées aux besoins et au degré d’intimité souhaité. Il est courant de retrouver une terminologie hiérarchique (Easton et Hardy, 2013). Plus précisément, celle-ci est composée de deux individus qui se considèrent en relation principale (ou primaire), mais dans laquelle chacun peut développer des relations polyamoureuses secondaires (Labriola, 1999). Il y a également un modèle de multiples relations polyamoureuses non primaires (où les protagonistes sont libres d’avoir diverses relations consensuelles secondaires). Les relations secondaires requièrent moins d’engagements et fonctionnent bien pour les personnes qui ont moins de temps à investir dans leurs relations (Easton et Hardy, 2013). Elles peuvent se retrouver en relation avec d’autres personnes tout aussi occupées ou bien dans une relation secondaire avec une personne qui a déjà une relation principale (Easton et Hardy, 2013).

Les personnes qui sont en relations multiples non primaires en retireraient beaucoup d’autonomie et de liberté (Labriola, 1999).

Il n’y a pas nécessairement une incapacité d’engagement du fait que l’exclusivité sexuelle n’est pas vue comme une référence (fait chez les couples monogames), car ici c’est la capacité à créer et à faire perdurer un lien dans le temps qui devient la référence (Veaux, 2012). 

Une communauté marginale

Selon Rubin (2011), la sexualité est une construction sociale qui prend racine dans un contexte historique et culturel spécifique. L’auteur élabore son approche pour répondre aux philosophies essentialistes qui stipulent que la sexualité est un domaine humain sans valeur significative historique ou culturelle inhérente. 

Il ajoute qu’au contraire, les jugements de valeur vis-à-vis de la sexualité sont loin d’être innés. La sexualité serait plutôt le produit d’activités humaines constituant un acte qui joue un rôle politique (Rubin, 2011).

Les diktats issus de la période victorienne vis-à-vis de la sexualité se font encore bien sentir dans la société actuelle (Rubin, 2011). Au fil du temps, il y aurait donc la création d’une hiérarchie d’actes sexuels qui, selon les époques, sont considérés comme étant vertueux ou non (Rubin, 2011). Ainsi, l’auteur explique que les relations multiples sont considérées comme des comportements externes au cercle vertueux puisqu’elles incluent plusieurs individus à la fois (i.e. : ce n’est pas monogame). Une relation à l’extérieur de ce cercle est automatiquement considérée malsaine et immorale (Rubin, 2011).

Par conséquent, les individus des communautés marginalisées ont souvent moins de droits (i.e. : droit de mariage, de garde des enfants) ou de reconnaissance sociale. Pour échapper à la discrimination, certain.e.s polyamoureux et polyamoureuses pourraient préférer garder secrète leur vie affective et sexuelle (Rubin, 2011).

Réflexion

Le polyamour étant un phénomène prévalent, les professionnel.le.s devront être de plus en plus sensibilisé.e.s à cette nouvelle réalité (Graham, 2014). Afin de pouvoir répondre correctement aux besoins futurs de cette clientèle, les professionnel.le.s de la santé, les services sociaux, de l’éducation ou autres gagneront à s’intéresser davantage aux problématiques potentielles rencontrées chez ces personnes (Graham, 2014).

L'interrogation principale qui émerge de notre recherche entoure la capacité réelle des professionnel.le.s nord-américain.e.s à accueillir ouvertement les personnes ayant des relations amoureuses non monogames. Malgré la volonté de plusieurs, le bagage culturel et historique est-il suffisamment dissout pour intervenir dans un contexte neutre, ouvert et sans jugement?

Sommes-nous trop enraciné.e.s dans la monogamie pour intervenir sans préjudices auprès de personnes aux relations marginales? Certes, certain.e.s intervenant.e.s y parviennent et offrent la possibilité d’aider les personnes ayant des modes relationnels non conventionnels comme les personnes polyamoureuses. Un bottin poly-friendly1 & 2 qui regroupe les professionnel.le.s qui s’intéressent spécialement aux personnes polyamoureuses est actuellement en circulation. Son accessibilité étant actuellement limitée, il est souhaitable qu’il soit régulièrement mis à jour et qu’il devienne une référence connue et utilisée. 

1. Bottin téléchargeable
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Références
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Pour citer cette chronique :

Bergeron, M. et Trempe, M. (2017, 21 juin). L'amour avec un grand P. Les 3 sex*https://les3sex.com/fr/news/32/chronique-l-amour-avec-un-grand-p 

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