Unsplash/Charles Deluvio - Photo modifiée par Les 3 sex*

Témoignage • Désolée, j’ai un chum

25 mars 2019
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Les témoignages sont des textes produits par des personnes ne provenant pas obligatoirement des disciplines sexologiques ou connexes. Ces textes présentent des émotions, des perceptions et sont donc hautement subjectifs. Les opinions exprimées dans les témoignages n'engagent que leurs auteur.e.s et ne représentent en aucun cas les positions de l'organisme.

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Je suis seule. Assise sur un tabouret trop haut. À faire défiler, inattentivement, le fil de nouvelles Facebook.

J’entends quelqu’un qui s’approche.

20 minutes plus tôt, alors que j’entrais tout juste, j’avais remarqué le regard mi-subtile, mi-insistant d’un homme assis dans le fond de la salle.

Par politesse, j’avais souri et détourné le regard.

Alors que les pas se rapprochent, je pense. Est-ce que mon sourire a envoyé un signal d’ouverture ? Est-ce que mon désir de politesse a passé pour du flirt? Est-ce que ma gêne subséquente, elle, a été une invitation à prendre l’initiative ?

Je n’ai pas d’intérêt pour ce garçon.

Il arrive, sourit et s'assoit.

Une tornade de codes sociaux défile dans ma tête. Je le salue et détourne le regard pour fixer mon écran. J’agite mes doigts pour donner l’impression que je suis occupée. Être polie, mais ne montrer aucune ouverture.

« On était dans un cours ensemble, en histoire, tu te souviens ? » qu’il dit.

Je me souviens. Un peu.

Nous discutons. Un peu.

La conversation est intéressante. Je ne suis attentive qu’à moitié. Je calcule chaque mot, chaque phrase. Crainte constante d’envoyer un signal qui sera mal interprété. Être polie, mais ne montrer aucune ouverture.

Après 15 minutes, il me demande si je voudrais prendre une bière, un moment, cette semaine.

« Désolée, j’ai un chum » que je lui réponds.
« Ah, ok ! ben bonne journée alors! » qu’il répond.

Entre mes 16 et mes 26 ans, je ne me rappelle plus du nombre de fois où j’ai répété cette phrase.

Mais pourquoi revient-elle si souvent ?

Mais pourquoi s’agit-il de la phrase « conclusion » de prédilection?

 1. Je n’ai rien d’autre à offrir qu’une possible relation intime et, conséquemment, il s’agit de la seule motivation pour s’intéresser à moi?

2. Ô combien épouvantable serait-il de ne pas « annoncer » mon statut relationnel et risquer ainsi que quelqu’un « perde » son temps dans une relation « inutile » ?

3. Mon rejet ne s’explique pas par mon désintérêt, mais par le cadre rigide de ma relation monogame qui « m’empêche » de développer d’autres relations?

4. Il s’agit de la seule raison considérée « valide » pour que l’autre ne soit pas insistant?

À 16 ans, en éclosion par une puberté retardataire et surprenante, j’ai été, plus d’une fois, accusée d’être « agace » (terme qui semble, merci, bien moins populaire aujourd’hui). Mes amitiés intergenres, avant inoffensives, sont devenues dès lors menaçantes de par ma transformation en « objet possible de désir ».

Les jeunes garçons, auparavant des amis, m’ont avoué leur amour.
Amour que j’ai rejeté.
À leur grande surprise.
De par mes jeux, de par mon affection authentique, j’envoyais des signaux.

J’étais donc une agace.

Cette jeune fille frivole qui s’amuse avec les sentiments des pauvres garçons épris d’un amour libidineux.

Cette étiquette m’a terrorisée.

Célibataire, j’évitais toutes relations possiblement ambiguës. Toujours nerveuse, je faisais des pieds et des mains pour clarifier mes amitiés avec le genre opposé.

J’en étais froide, distante. On me disait intimidante.

J’empêchais les autres de m’approcher, par crainte de changer d’idée et de me retrouver, une fois de plus, avec cette étiquette d’agace. Pour conserver le contrôle, je « choisissais » mes partenaires, gardant l’avantage de l’initiative dans chaque relation. De temps en temps, je mentais : « J’ai un chum, désolée ».

En couple, je surutilisais cette fameuse phrase toute faite. Le couple était la protection ultime.

Après mes 26 ans, j’ai cessé d’utiliser cette excuse. L’utilisation même de cette phrase bénigne revêtait une signification profonde qui s’opposait à mon désir d’agentivité. J’avais le droit d’être plus qu’une prospect, j’avais le droit d’être une « personne » digne d’intérêt.

Et, il existe des personnes de genres opposés qui s’intéressent réellement à développer des relations autre que sexuelles et amoureuses. Préjuger autrement est insultant pour ces personnes.

Néanmoins, encore aujourd’hui, à 30 ans, je dois me faire violence pour ne pas prononcer cette excuse. Cette phrase si simple, si efficace et si protectrice.

Chaque fois que je discute avec un homme, hors de mon cercle, et que je tais ce statut, je me bats encore contre la culpabilité.

Et s’il se faisait des idées?
Et s’il pensait que le fait de ne pas énoncer clairement ma situation était un signe d’ouverture ?
Et s’il me trouvait « agace » ?

Mais, be it.

Si, un jour, la seule raison qui m’empêche réellement d’établir une nouvelle relation est mon statut relationnel, je me permettrai d’utiliser « Désolée, j’ai un chum ».

Mais, si ce moment arrive, je devrai me poser de sérieuses questions sur la qualité de ma relation et les motivations qui me poussent à y rester.

*Dans notre société hautement hétéronormative, ce texte porte sur des échanges avec des hommes hétérosexuels puisque pour l'auteure, cette situation et ces sentiments n'ont jamais été ressentis avec des personnes ayant d'autres orientations sexuelles.

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