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Chronique • Les fables de la femme fontaine

26 octobre 2016
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L’été 2011 fut mon premier été en tant que sauveteuse. Des enfants de 10 et 11 ans se chamaillent dans l’eau et se traitent mutuellement de « femme fontaine ». Je leur demande gentiment de se calmer, et surtout de se trouver d’autres « insultes » que « femme fontaine ». Un des petits baigneurs me demande pourquoi et, voyant mon embarras, m’offre de me montrer ce qu’est une femme fontaine. Gros malaise devant les petits baigneurs, mais surtout devant les quelques parents qui écoutent notre conversation en se prélassant au soleil. « Non, non, Louis. Ça va être correct. » Il insiste une fois, deux fois. Je lui réponds que « Non merci, je sais ce que c’est et je n’ai pas vraiment envie d’avoir une démonstration en ce moment même. » Il décide tout de même de sortir de la piscine, se place à mes côtés, prend une position qu’il considère « féminine » (un pied levé, une main derrière la tête) et commence à cracher de l’eau... 

Immense fou rire de ma part : « Aaaaah, ce genre de femme fontaine-là! ». Cinq ans plus tard, été 2016, le petit baigneur est devenu grand et fait maintenant partie de l’équipe de sauveteurs. On rit encore de cet épisode parce qu’il connaît maintenant la « vraie » définition d’une femme fontaine. Je lui ai notamment demandé de refaire la pose pour que je puisse prendre une photo de lui pour l’intégrer à ce texte, mais sa réponse, « Ark gee, t’es-tu malade bro! », m’a laissé sous-entendre qu’il préférait rester anonyme… 

Le fait de reparler de l’expression « femme fontaine » avec lui m’a donné l’idée de me pencher un peu plus sérieusement sur le sujet. J’ai l’impression que l’éjaculation féminine est un sujet qui se fait de plus en plus populaire, mais qui reste encore assez flou pour certain.e.s. J’ai donc voulu démystifier ce qu’est l’éjaculation féminine, son fonctionnement, sa composition, sa provenance et sa cause.

Éjaculation féminine : un phénomène nouveau?

Bien que la première description scientifique recensée soit celle de Reinjier de Graaf au XVIe siècle, on retrouve plusieurs mentions de l’éjaculation féminine dans des textes encore plus anciens, comme des textes d’origine indienne du VIIe siècle ou des textes chinois du IVe siècle. Les célèbres Aristote (300 av. J.-C.) et Galen (IIe siècle) font également état de ce phénomène dans leurs écrits (Korda et al., 2010). Ce n’est donc pas un phénomène récent, bien au contraire (Salama et al., 2015). D’autres, comme Pythagore (570 à 510 av. J.-C.) et Empédocle (490 à 430 av. J.-C.) font mention de semence ou sperme féminin (Korda et al., 2010). Certains la pensaient reliée à la fertilité de la femme, d’autres (comme Hippocrate, notamment) lui attribuaient des vertus contraceptives (Korda et al., 2010).

Quelle est-elle? 

L’éjaculation féminine est définie par l’expulsion d’une quantité significative de fluide lors de l’orgasme (Korda et al., 2010). La composition chimique de l’éjaculat féminin et sa provenance est bien distincte de la simple lubrification vaginale (Meauxsoone-Lesaffre, 2013). L’éjaculation féminine est un phénomène très complexe. C’est pourquoi ce texte abordera plusieurs aspects du phénomène, dont la composition de l’éjaculat, d’où il est originaire, le lien possible avec l’incontinence urinaire, l’utilité de l’éjaculation chez les femmes et finalement, le parallèle avec la prostate féminine ou avec le point G.

De quoi est-elle composée? 

La première équipe de chercheurs et chercheuses à comparer les analyses d’urine à celles d’éjaculat féminin fut l’équipe d’Addiego en 1982. Cette équipe ainsi que plusieurs autres équipes de recherche permirent, par la suite, d’affirmer que la composition de l’éjaculat féminin était très différente de l’urine, mais assez similaire à l’éjaculat masculin (sans les spermatozoïdes, bien entendu). Cependant, avant de s’attarder à cela, il est nécessaire de clarifier en quoi consiste l’éjaculation féminine.

La femme peut expulser (ou éjaculer) deux types de liquides distincts. Le premier (qualifié de « squirt » en anglais) est aqueux, abondant, inodore, incolore et contient de l’urée, de la créatinine et de l’acide urique (Rubio-Casillas et Jannini, 2011). Bien que ces composants soient présents en moins grande quantité que dans l’urine, ce composé est parfois appelé « urine diluée », notamment, car le fluide provient de la vessie (Rubio-Casillas et al., 2011). Le « squirt » n’est typiquement pas considéré comme de l’éjaculat féminin au sein de la communauté scientifique, mais est considéré comme une simple émission de liquide (Salama et al. , 2015). 

Le deuxième liquide (qui peut entre autres être expulsé juste après l’émission du premier liquide) est présent en moins grande quantité et sa texture est épaisse et laiteuse. De plus, il contient une grande quantité d’antigènes prostatiques spécifiques (PSA), une protéine produite par des cellules de la prostate (Rubio et al., 2011). C’est ce dernier type d’éjaculation qui est comparé à l’éjaculation masculine en raison de leurs apparences et de leurs composantes semblables (Wimpissinger et al., 2009) bien que la concentration de PSA soit moins élevée dans l’éjaculat féminin que dans le masculin (Rubio et al., 2011).

D’autres substances distinctives de l’éjaculat masculin se retrouvent en grande quantité dans l’éjaculat féminin contrairement à ce qui se trouve dans l’urine. Les études mentionnent, notamment le fructose, le glucose (Belzer et al., 1984; Zaviacic et al., 1988) et la phosphatase acide prostatique (PAP), une enzyme caractéristique de l’éjaculat masculin (Addiego et al., 1981). Toutefois, il est important de mentionner que plusieurs chercheurs et chercheuses critiquent l’étude menée par Addiego et ses collègues, car le test utilisé pour détecter le PAP n’est pas spécifique à cette enzyme, pouvant donc fausser les résultats (Hines, 2001; Stolorow et al., 1976; Belzer et al., 1984). À la lumière de ces nombreuses découvertes, nous pouvons tout de même conclure que la composition chimique de l’éjaculat féminin possède des similarités significatives avec celle de l’éjaculat masculin. 

D’où vient-elle?

Salama et ses collègues (2014) affirment que le liquide éjaculé proviendrait de la vessie. En effet, ils ont pu constater par ultrason que la vessie était vide avant l’activité sexuelle, se remplissait lors de l’excitation sexuelle et l’acte sexuel, et redevenait vide tout de suite après l’orgasme. Ceci correspondrait donc à ce qu’on nomme « squirting ». La même équipe a publié un second article, l’année suivante, en précisant que l’éjaculat s’apparentant à l’éjaculat masculin (et non le « squirting ») pouvait également provenir des glandes de Skene (Salama et al., 2015).

Incontinence urinaire ou éjaculation féminine? 

Pourtant, plusieurs, dont des professionnel.le.s de la santé comme des omnipraticien.ne.s, croient encore que l’éjaculation féminine se résume, en fait, à des simples fuites urinaires (Ladas et al., 1982). Bien que l’éjaculat féminin provient parfois de la vessie (le premier jet, le « squirt »), il est important de noter qu’il ne s’agit pas d’incontinence urinaire, car comme dit précédemment, l’éjaculat féminin n’a pas la même composition chimique que l’urine (bien que certains éléments soient similaires).

L’incontinence urinaire durant les rapports sexuels (pénétration/orgasme) existe bel et bien, surtout lors des cas d’hyperactivité détrusorienne (Khan et al., 1988), mais il ne s’agit pas du même phénomène que l’éjaculation (Pastor, 2013). Il est donc raisonnable d’affirmer que l’éjaculation féminine n’est pas de l’incontinence urinaire comme on l’entend.

Après le comment, le pourquoi

Il serait légitime de penser que l’éjaculat féminin servirait, en fait, à lubrifier le vagin et le vestibule vaginal pour faciliter la pénétration, mais il serait surprenant qu’il ne serve qu’à cela. Dr. Ernst Gräfenberg, le célèbre gynécologue en l’honneur de qui le point G fut nommé, explique que l’éjaculation féminine ne servirait pas à des fins de lubrification, étant donné qu’elle se produit au point culminant de l’orgasme et non au début de la stimulation sexuelle (Korda et al., 2010). Le pourquoi de l’éjaculation féminine semble donc inconnu pour le moment. Quand des chercheurs ou des chercheuses osent avancer des hypothèses, elles sont irrémédiablement réfutées par d’autres équipes. À suivre, donc…

La prostate féminine : être ou ne pas être 

De Graaf est un des premiers à parler de l’existence de la prostate féminine. Il suggère, en fait, que les glandes para-urétrales sont l’équivalent de la prostate chez les femmes. Il précise qu’un liquide séreux est émis des différents canaux entourant l’urètre (Korda et al., 2010) et que l’expulsion du liquide (par la prostate féminine ou masculine) procure autant de plaisir chez l’homme que chez la femme (Jocelyn et Setchell, 1972).

La description de la prostate féminine que fait de Graaf est extrêmement similaire, bien qu’un peu moins précise que celle d’Alexander Skene, qui décrit des glandes s’étendant du méat urétral vers le haut et dont les ouvertures se trouvent de chaque côté de ce méat (Korda et al., 2010). 

La communauté scientifique actuelle s’entend pour dire que la prostate féminine existe bel et bien et qu’elle correspond au complexe de glandes décrit par Skene (Wernert et al., 1992). L’équipe de Wernert a démontré que les glandes de Skene sont en fait des glandes péri-urétrales analogues à la prostate qui drainent les sécrétions jusque dans l’urètre (Kilchevsky et al., 2012). En 1999, Zaviacic a prouvé que le tissu glandulaire péri-urétral existait chez 80 % de ses sujets et pesait en moyenne 5 grammes (Meauxsonne-Lesaffre, 2013).

L’équipe du chercheur Zaviacic a aussi mené plusieurs études comparant la prostate masculine à la prostate féminine et a pu conclure que cette dernière était significativement plus petite et qu’elle se situait dans les parois de l’urètre (et non autour de celle-ci, comme son homologue masculin) (Korda et al., 2010). De plus, d’un point de vue embryologique et anatomique, il est difficile de contredire le fait que les prostates féminine et masculine soient analogues (Heath, 1984; Tepper et al., 1984). Toujours sceptique? En 2009, l’équipe de Wimpissigner a publié une étude dans laquelle la prostate féminine a été étudiée par IRM et par échographie (Wimpissigner et al., 2009). Difficile de contredire toutes ces évidences…

Possible parallèle au point G

Y aurait-il un lien entre le point G et la prostate féminine? Difficile à déterminer. Le point G serait situé sur la paroi antérieure du vagin, assez près de l’entrée vaginale (Ladas et al., 1982). Curieusement, la prostate féminine se trouve au même endroit (Wernert et al., 1992). Il serait donc raisonnable de spéculer que la stimulation du point G mènerait à l’orgasme et potentiellement à l’éjaculation. Je crois, toutefois, qu’il est incorrect d’en venir à cette conclusion étant donné que l’existence du point G soulève encore énormément de controverse et n’a pas été prouvée hors de tout doute (Korda et al., 2010) (pour plus d’informations à ce sujet, vous pouvez lire ma chronique précédente). Autrement dit, puisque l’existence d’une zone sensible sur la paroi antérieure vaginale n’a pas encore été adéquatement démontrée, il est impossible de dire que c’est la stimulation de celle-ci qui provoque l’éjaculation. C’est toutefois ce que beaucoup d'équipes de recherche affirment, telles que celle de Laddas, Whipple et Perry (1892) dans leur ouvrage The G Spot and Other Recent Discoveries About Human Sexuality. Impossible de trancher donc… pour l’instant du moins.

Quoi retenir et qu’en penser?

Il est tout de même important de garder en tête que la plupart des résultats présentés dans cet article ont été contredits par d’autres équipes de recherche. Difficile, donc, d’obtenir un consensus quant à l’existence légitime de l’éjaculation féminine, bien que la majorité des études semblent pointer dans la même direction. De plus en plus d’articles adressés au grand public font l’apologie de l’éjaculation féminine en disant que les orgasmes sont beaucoup plus puissants s’ils sont accompagnés d’une éjaculation (un motif assez récurrent dans l’ouvrage de Laddas, Whipple et Perry (1982)).

On retrouve des articles pour apprendre à faire « squirter » sa partenaire. Il y a même des cours (« female ejaculation class ») dans lesquels on explique comment réussir à éjaculer (certains sont plus graphiques en incluant des démonstrations en direct de l’instructrice). Je me rends compte qu’autour de moi, très subtilement pour l’instant, une pression et un autre standard à atteindre s’installe : celui d’être capable d’éjaculer et de pouvoir contrôler cette éjaculation. C’est à dire, qu’une fille ne devrait pas éjaculer si son partenaire n’aime pas ça, par exemple. 

Selon moi, la femme ne devrait pas avoir à réprimer aucun aspect de sa sexualité et devrait se sentir libre et s'accepter dans celle-ci. Inutile d’ajouter une pression supplémentaire à la femme qui en subit déjà énormément. D’un autre côté, il existe encore une stigmatisation envers les femmes qui peuvent éjaculer. Plusieurs témoignages dans l’ouvrage de Ladas, Whipple et Perry (1982) démontrent à quel point certaines femmes souffrent en silence, car elles peuvent parfois ressentir de la gêne ou de la honte face à leur capacité à éjaculer, car en dépit de toutes les informations qui circulent depuis quelques années à ce sujet, le phénomène est encore considéré comme marginal.

C’est pourquoi il faut écouter et accepter les femmes dans leurs différences, qu’elles aient la capacité d’éjaculer ou non. Il faut, à mon avis, continuer de propager l’information sans imposer quelque pression que ce soit, tenter de normaliser l’éjaculation féminine sans la standardiser. Éjaculatrice ou non; les deux sont normaux, les deux sont corrects. 

Arrêtez de viser le huitième ciel, le septième est déjà assez haut. 

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Références
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Pour citer cette chronique :

Gareau, E. (2016, 26 octobre). Les fables de la femme fontaine. Les 3 sex*https://les3sex.com/fr/news/101/chronique-les-fables-de-la-femme-fontaine 

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