Souterrain (affiche du film) - Photo modifiée par Les 3 sex * – Utilisation équitable

Film • Souterrain

3 septembre 2021
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Avec Souterrain (2020), la réalisatrice Sophie Dupuis nous offre un film qui oscille entre la tension d’un suspense et le portrait d’un contexte socioprofessionnel très précis, celui des mines à Val d’Or, en Abitibi-Témiscamingue. Une explosion dont l’origine est inconnue ouvre la fiction. Il s’ensuit une haletante mission pour sauver les ouvriers et ouvrières demeuré.e.s sous terre.

On y découvre des personnages masculins complexes, dont Maxime (Joakim Robillard), jeune travailleur, en quête de rédemption et incapable d’avoir un enfant biologique; Julien (Théodore Pellerin), un ancien ouvrier de la mine, maintenant handicapé à cause d’un accident de la route, à la recherche d’un nouveau travail et d’une nouvelle vie; et Mario (James Hyndman), le père de Julien, triste et désespéré de faire face à l’état chronique de son fils. Le drame et le réalisme social prennent le dessus sur les scènes d’action promises par la bande-annonce.

Souterrain est le deuxième long-métrage de Sophie Dupuis. Native d’Abitibi-Témiscamingue, née en 1986, elle s’inspire du métier de son père et de son grand-père pour écrire le scénario. Son premier film, Chien de garde (2018) retrace l’histoire de deux frères venant d’une famille mêlée à la vente de drogue. Masculinités, violences et dynamiques familiales sont des éléments marquants de l’esthétique de la réalisatrice.

Représentations subtiles et moins subtiles de la masculinité toxique

D’entrée de jeu, la masculinité des ouvriers est mise au devant de l’écran : sous-entendus sexuels envers les collègues féminines, mépris pour l’autorité des femmes plus haute dans la hiérarchie, forte présence de l’alcool, insultes sur la « féminité » des un.e.s et des autres, milieu de travail risqué associé typiquement à la force. Sophie Dupuis décline sous ces multiples facettes la masculinité toxique telle que l’a théorisée Liz Plank dans son ouvrage For the Love of Men: From Toxic to a More Mindful Masculinity : « Masculinity is procured through ritualized and often-public social behaviours » (2021, p. 37).

En ce sens, Sophie Dupuis réussit à montrer comment les personnages se construisent et doivent conjuguer avec une vision rigide du genre. Avec le personnage de Julien, l’intersection de la masculinité et du handicap entraîne une reformulation des valeurs d’indépendance et de force. Son père Mario nourrit son désespoir en sombrant dans l’alcool, le silence et la réclusion. On assiste aussi aux questionnements de Maxime, le personnage principal, face à la paternité et à l’infertilité, entraînant des comportements indirects et agressifs, comme lorsqu’il s’informe, auprès d’un collègue, du processus d’adoption, tout en prenant bien soin d’insulter le choix d’adopter afin de marquer sa distinction et sa supériorité.

La honte est l’épicentre du film – honte de ne pas correspondre aux idéaux d’une société patriarcale, capitaliste et capacitiste. En évoquant cet affect, Kevin L. Fall écrit : « Men may either isolate (withdrawal, avoidance) [...] or act out in masculine ways that include compulsive work, substance abuse or aggression » (cité dans Liz Plank, 2021, p. 83). Le parcours de Maxime, sans être exemplaire, montre un embryon d’alternative à la masculinité toxique grâce à l’expression de ses émotions et de sa vulnérabilité.

Souterrain, avec son esthétique de la machinerie lourde et de la mine en clair-obscur, avec ses alternances entre la vie sur le chantier et le quotidien à Val d’Or, est une belle surprise pour ceux et celles qui s’intéressent au genre et aux masculinités. Loin des évidentes représentations clichées, Sophie Dupuis construit, détourne, complexifie, dans un élan similaire à celui d’Édouard Louis dans En finir avec Eddy Bellegueule, la signification de la masculinité pour la classe ouvrière.

Référence

Réalisation/création : Sophie Dupuis
Titre : Souterrain
Date de parution : 20 décembre 2020

Ce film est actuellement projeté dans plusieurs cinémas du Québec.

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