Chouchou (affiche de la série) – Photo modifiée par Les 3 sex* – Utilisation équitable

Série • Chouchou

17 janvier 2023
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Créant habituellement pour un public jeunesse, c’est avec justesse que s’est aventuré Simon Boulerice dans l’écriture de Chouchou, une émission télévisée dramatique destinée aux plus de 13 ans. Cette série raconte l’histoire d’un amour condamnable entre une enseignante de français au secondaire : Chanelle (Evelyne Brochu), 37 ans, et son élève de 17 ans, Sandrick (Lévi Doré). 

D’emblée, la série québécoise expose l’arrestation de Chanelle, mettant à l’avant-plan le caractère illégal de la relation entre l’enseignante et son élève. Boulerice retrace ensuite l’amorce de cette relation illégitime, à l’intérieur de laquelle Chanelle s’efforce de conserver une distance avec son élève. L’équipe de réalisation (Félix Tétreault et Marie-Claude Blouin) nous présente de quelle manière la protagoniste navigue tout cela en compagnie de ses deux enfants, son mari Jeff (Steve Laplante), sa sœur (Pascale Renaud Hébert) et ses collègues de travail. 

Sans pour autant venir à excuser les gestes répréhensibles de l’enseignante, on y présente la complexité de la situation et ses différents angles morts avec subtilité. La sensibilité des personnages sous toutes leurs nuances permet justement au public d’éprouver de l’empathie pour Sandrick, victime de cette relation toxique, mais également pour Chanelle, qui a laissé ce fléau déraper trop vite. C’est d’ailleurs ce que l’écrivain de Chouchou définit comme « empathie critique »¹ à l’égard de l’enseignante.

Au-delà de tout cela, Chouchou nous offre un vaste espace de réflexions sexologiques, notamment vis-à-vis des thèmes comme la délinquance sexuelle, l’amour, le désir, les relations interpersonnelles et familiales et la maternité. Simon Boulerice illustre effectivement avec brio les différentes conséquences qui peuvent survenir à la suite de gestes à caractère sexuel qu’une personne majeure, en situation de pouvoir et de confiance, pose sur une personne mineure. Autrement dit, les actions de Chanelle ont des répercussions légales, interpersonnelles et individuelles. La protagoniste se retrouve donc à subir les conséquences de ses actes, en plus de voir sa victime, ses proches et elle-même affecté.e.s émotionnellement par cette situation. Tout au long de la saison, la sœur de Chanelle est d'ailleurs dépeinte comme la voix de la raison : c’est elle qui fait réaliser à la protagoniste que Sandrick est la victime. 

Boulerice illustre effectivement avec bienveillance l’évolution psychologique de Chanelle et Sandrick. Au début de la série, cette dernière ressent peu de culpabilité envers sa victime; elle a plutôt l’impression que le duo s’offre un réconfort mutuel. En revanche, plus le récit avance, plus Chanelle réalise la portée de ses actions qui ont eu des conséquences graves sur Sandrick. Dans une perspective de justice réparatrice², elle décide enfin de s’excuser auprès de lui, lorsque le contexte le permet. 

La série offre d’ailleurs un regard global sur les différentes possibilités s’offrant à la victime, où toutes les avenues semblent le mener dans un cul-de-sac. Sans pour autant minimiser les conséquences négatives de cette relation sur le protagoniste, cette expérience d’adversité lui aura tout de même permis de cheminer sur le plan psychologique.

Quoique le souhait de réinsérer socialement Chanelle dans la série soit bien dépeint, aborder la délinquance sexuelle d’un point de vue du divertissement est un terrain glissant. Même si la relation entre Chanelle et Sandrick est présentée de manière nuancée, celle-ci demeure illégale. De plus, la réception de cette série aurait probablement été différente si le personnage de Chanelle avait été un homme en situation d’autorité et de confiance sur une adolescente. Force est de constater que les violences sexuelles auprès des garçons et des hommes suscitent encore des incompréhensions. En effet, il est possible que les stéréotypes sur les masculinités alimentent la vision romancée de cette série, plutôt que de la percevoir comme un scénario d’abus sexuel sans équivoque.

Somme toute, la série Chouchou et la finesse incomparable du jeu d’Evelyne Brochu et de Lévi Doré nous plongent dans le déchirement amoureux vécu par les personnages. Rapidement, le duo de protagonistes fait face à un dilemme, à l’intérieur duquel il doit naviguer le cadre socio-légal québécois. Là est la force de cette série : placer l’audience dans une position morale et éthique confrontante. 

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¹ Simon Boulerice l’explique en disant qu’il est possible d’éprouver de l’empathie pour la protagoniste, mais que cette empathie peut et doit être nuancée.  https://ici.radio-canada.ca/tele/on-va-se-le-dire/site/segments/chronique/421558/simon-boulerice-amoureux-enseignante-sexualite ( On va se le dire, emission du lundi 7 novembre 2022)
² Selon Éducaloi, la justice réparatrice est « un processus qui encourage les personnes contrevenantes à assumer les conséquences de leur geste et à réparer les torts ou les dommages causés par un crime. La justice réparatrice peut être complémentaire ou elle peut être une alternative au système de justice traditionnel. »

Référence 

Réalisation/création : Simon Boulerice (écriture); Félix Tétreault et Marie-Claude Blouin (réalisation) 
Titre : Chouchou 
Date de parution : 14 septembre 2022

Cette série est disponible sur Crave.

amour, désir, famille, maternité, adolescence, violence, relation, infidélité, exploitation sexuelle, délinquance sexuelle, Québec.