Lou Bonnet – Photo modifiée par Les 3 sex* – Utilisation équitable

Enquête • La lutte pour la pluriparenté n’est pas terminée

26 juin 2023
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À la question de savoir si un.e enfant peut avoir plus de deux parents reconnus légalement, le gouvernement québécois répond par la négative. Pourtant, la pluriparenté est permise dans d’autres provinces au Canada, comme en Ontario, en Colombie-Britannique et en Saskatchewan.

« C’est très clair que la cellule familiale comporte deux parents seulement », clame le ministre Jolin-Barrette. Pour la CAQ, il est hors de question qu’un troisième ou quatrième parent soit inscrit à l’acte de naissance de l’enfant.

C’est donc dire que, même lorsque trois adultes (ou plus) décident de fonder une famille et d’élever un.e enfant ensemble au Québec, seulement deux des parents peuvent détenir l’autorité parentale.

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Une réforme contestée

Alors que plusieurs espéraient que la pluriparenté soit incluse dans le projet de loi visant à réformer le droit de la famille, présenté à l’automne 2021, elle brillait par son absence. Pour Isabel Côté, professeure de l’UQO et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la procréation pour autrui et les liens familiaux, cette exclusion était fort décevante : « La réforme aurait pu être l'occasion parfaite pour inclure les familles pluriparentales. »

Une lueur d’espoir subsistait toutefois pour les personnes ayant un projet pluriparental et leurs allié.e.s. En effet, comme la réforme du droit familial se poursuit cette année avec le projet de loi 12, on pouvait croire qu’en plus de la question de la gestation pour autrui, la pluriparenté serait intégrée. Que nenni.

Martine Biron – la ministre responsable des dossiers LGBTQ+ – avait donné l’impression que la porte n’était pas complètement fermée pour son parti. Elle avait affirmé qu’elle réfléchissait à la question et était « ouverte à différentes formules ». Or, son attachée de presse a vite corrigé le tir : « Elle voulait dire qu’elle était ouverte sur différents dossiers. C’est sûr que la porte est fermée sur la pluriparentalité. » Autrement dit, la ministre Biron n’allait pas tenter de rectifier la ligne du parti¹.

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Le droit DES familles

Selon Mona Greenbaum, directrice de la Coalition des familles LGBT+, le Québec traîne de la patte dans ce dossier. « Pourtant, la province avait été avant-gardiste par rapport à l’homoparentalité. En 2002, c’est devenu l’un des premiers endroits du monde à donner une reconnaissance légale aux parents de même genre. » Comme elle l’a exprimé dans une entrevue avec Les 3 sex*, il est surprenant que la pluriparenté ne soit toujours pas reconnue aux yeux de la loi ici. Après tout, elle l’est en Colombie-Britannique depuis une décennie.

Une déception que partage l’avocat et professeur de droit Michaël Lessard. Ce dernier, qui a signé une lettre d’opinion dans La Presse sur la question, se dit en faveur d’une plus grande reconnaissance de la diversité familiale par le système législatif.

« L’appellation elle-même – le droit de LA famille – montre que la loi prend seulement en compte un type de famille, c’est-à-dire celle qui est traditionnelle et composée de deux parents. On devrait plutôt parler du droit DES familles », a-t-il expliqué à Les 3 sex*.

À son avis, la filiation devrait refléter les liens sociaux importants entre l’enfant et des adultes significatifs et significatives.

Jolin-Barrette peut toutefois compter sur le soutien indéfectible de Denise Bombardier. Dans une lettre d’opinion publiée dans Le Journal de Montréal, elle le félicite pour son « courage », lui qui a osé « affronter le lobby LGBTQ+ » en refusant que trois parents ou plus forment une famille.

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Les enfants d’abord

N’en déplaise aux Simon Jolin-Barrette et Denise Bombardier de ce monde, les familles pluriparentales existent déjà, du moins d’un point de vue social. En effet, il y a actuellement des familles au Québec où un.e enfant a trois ou quatre parents. Par exemple, un couple de femmes et un ami qui ont décidé d’avoir un.e enfant ensemble. Ou bien, un trouple (un couple formé de trois personnes), qui a élaboré un projet parental en triade. Ou encore, trois ami.e.s qui choisissent de devenir parents ensemble. Mona Greenbaum a d’ailleurs confirmé que, parmi les membres de la Coalition des familles LGBT+, on trouve des familles pluriparentales. Parmi elles, certaines sont des trios de parents et d’autres sont formées par un couple qui partage le rôle de parent avec un.e ami.e.

Le hic, c’est que ces familles ne sont pas reconnues légalement. Les parents dans un modèle pluriparental n’ont donc pas les mêmes droits que ceux d’une famille biparentale, ni les mêmes obligations.

Comme l’a expliqué Isabel Côté lors d’une entrevue avec Les 3 sex*, cette « non-reconnaissance vulnérabilise et fragilise les enfants ».

Pourquoi cette non-reconnaissance est-elle néfaste pour les enfants? D’abord, parce qu’en cas de séparation, le parent n’ayant pas de lien de filiation n’a aucun droit. Imaginons une enfant qui a été élevée par un trio de parents de sa naissance jusqu’à l’âge de 12 ans et qui a créé des liens d’attachement avec ses trois figures parentales. Imaginons ensuite que le trouple se sépare. Imaginons que la séparation est houleuse et que les deux parents reconnus légalement décident de ne pas permettre à l’autre parent de revoir l’enfant. Imaginons que la loi ne protège pas l’enfant, qui souffre de la perte de son parent.

« Le troisième parent pourrait techniquement obtenir un droit de visite et un droit de garde comme peuvent le faire des grands-parents, par exemple. Cependant, il y a une tendance chez les juges à refuser d’accorder la garde à un tiers », a commenté Michaël Lessard lors d’un entretien avec Les 3 sex*.

Ensuite, un parent qui n’est pas reconnu aux yeux de la loi ne peut prendre une décision médicale. Imaginons qu’un enfant est tombé d’un module de jeux et qu’il s’est cassé un poignet. Imaginons qu’à la suite de cet accident, la direction de l’école arrive seulement à joindre le parent dont la filiation n’est pas reconnue. Ce dernier n’aurait pas le droit de prendre une décision médicale concernant son enfant. En effet, seuls les parents dont la filiation est reconnue pourraient participer à une telle décision.

Enfin, la non-reconnaissance légale peut entraîner des conséquences négatives sur les enfants de familles pluriparentales par son absence de protection. Par exemple, si un des parents veut se désengager auprès de son enfant, la loi ne peut lui exiger de remplir ses obligations parentales ni de payer une pension alimentaire.

Pire encore, si les deux parents reconnus légalement décèdent soudainement, le troisième parent ne pourrait revendiquer la garde de l’enfant (à moins qu’il ait été préalablement nommé par les autres parents comme tuteur ou tutrice légal.e de l’enfant en cas de décès).

Un couple polyamoureux a imaginé le scénario suivant lors d’une entrevue avec Les 3 sex*. « Si on mourait, ce sont nos parents qui auraient la garde de notre enfant. Comme nous sommes issu.e.s de l’immigration, cela voudrait dire que notre enfant devrait déménager en France, où il serait confié à ses grands-parents, qu’il connaît très peu. Il serait pourtant plus bénéfique pour lui de rester au Québec, un endroit qu’il connaît, avec notre partenaire. Pour notre enfant, c’est cette personne qui est une adulte significative dans sa vie », a confié M. à Les 3 sex*, un des parents de l’enfant².

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Deux, c’est mieux (vraiment?)

Dans son ouvrage Faire famille autrement, la sociologue Gabrielle Richard pose un regard critique sur le modèle familial biparental et hétéronormé : 

« D’après les représentations contemporaines et occidentalo-centrées, une famille se fonde sur un couple composé d’un homme et d’une femme cisgenres, amoureux [amoureuses], monogames et idéalement marié[.e]s, qui cohabitent et ont un ou des enfants qui leur sont biologiquement lié[.e]s. »

En s’appuyant sur des entretiens avec des parents queers, l’autrice montre que la famille peut prendre différentes configurations et que des modèles alternatifs existent. Or, le refus de Jolin-Barrette d’ouvrir la porte à la pluriparenté repose sur la conception que le seul modèle familial qui permet le développement sain d’un.e enfant est la biparenté.

La professeure et chercheuse Isabel Côté, qui se spécialise dans les questions de diversité familiale, remet en question cette conception : « Les études montrent que la structure familiale ne prédit pas le bien-être des enfants. » Autrement dit, le fait qu’une famille soit soloparentale, biparentale, homoparentale, lesboparentale ou pluriparentale n’est pas un élément déterminant dans le bien-être d’un.e enfant. Un attachement sécurisant et l’accès à des ressources constituent des ingrédients beaucoup plus importants pour le développement que le modèle familial lui-même.

Mona Greenbaum résume bien cette idée : « Ça peut sembler quétaine, mais c’est vrai : l’amour, voilà ce qui est le plus important pour un.e enfant. Si l’enfant se sent aimé.e, il, elle sera bien, que ce soit dans une famille avec un, deux, trois ou quatre parents. »

Toujours selon Isabel Côté, « toutes les études sur la diversité familiale montrent qu’elle n’a pas d’impacts négatifs sur les enfants ». À son avis, c’est plutôt l’absence de lien de filiation qui est problématique.

S’il n’y a pas actuellement d’études scientifiques sur les familles pluriparentales, on peut puiser certaines informations dans des études sur des familles non traditionnelles comme celles qui sont constituées de parents de même genre.

Par exemple, une étude montre que les mères « sociales » dans un couple lesbien – les mères n’ayant pas porté l’enfant – souffrent du manque de reconnaissance légale dans certains contextes (Chbat et Côté, 2022). Dans le cadre de cette étude, des mères interrogées vivant en France ou en Suisse – où la mère sociale n’a pas d’autorité parentale – ont mentionné que la non-reconnaissance légale pouvait entraîner une dévaluation de leur maternité aux yeux de la société. Dans certains cas, elle peut aussi amener une dynamique de pouvoir au sein du couple, en particulier dans un contexte de séparation. En effet, des mères sociales ont rapporté que l’autre partenaire les avait privées du contact de leur enfant après la rupture. La non-reconnaissance légale de leur statut parental les a empêchées d’obtenir des recours juridiques pour conserver la garde de leur enfant. Comme le déplore Isabel Côté, ce cas de figure pourrait se reproduire dans un contexte pluriparental post-séparation.

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Il faut tout un village…

Le modèle nucléaire est tellement prédominant qu’on pourrait croire qu’il a toujours existé. Or, comme le rappelle la sociologue Gabrielle Richard, l’Histoire abonde de configurations familiales alternatives. Par exemple, pour plusieurs peuples autochtones, les adultes dans une famille élargie occupent souvent un rôle parental.

Le proverbe « Il faut tout un village pour élever un.e enfant » exprime d’ailleurs qu’il est bénéfique pour un.e enfant d’être entouré.e de plusieurs adultes significatifs et significatives. Ces derniers et dernières pourront lui fournir différentes ressources favorisant un développement optimal.

En ce sens, la pluriparenté pourrait comporter certains avantages pour un.e enfant. C’est ce qu’un trouple, qui a accepté de s’entretenir avec
Les 3 sex*, a partagé. Pour Éric LeBlanc, Jonathan Bédard et Justin Maheu, qui souhaitent adopter un.e enfant en banque mixte, leur configuration familiale sera positive pour tout le monde : « L’avantage, c’est que tout sera triplé : les ressources, le temps, les expertises. Nous aurons davantage de soutien aussi. Par exemple, l’enfant aura trois paires de grands-parents qui pourront s’occuper de lui. » De plus, chacun des parents pourra offrir un modèle différent : « Nous avons tous les trois des capacités différentes. Ce sera positif pour l’enfant d’avoir un parent qui connaît bien la gestion, un autre qui est bon en pédagogie, et un autre qui est passionné par les arts. »

De plus, comme l’indique le trouple, la pluriparenté peut rimer avec davantage de moyens financiers puisque le salaire de trois adultes s’additionne. À l’heure où l’inflation impacte le budget de plusieurs familles, on peut imaginer qu’une source de revenus supplémentaire présenterait une plus-value non négligeable.

En plus des avantages pour l’enfant, le modèle pluriparental pourrait s’avérer bénéfique pour les parents. Milaine Alarie, professeure associée à l’Institut national de la recherche scientifique, s’est intéressée aux parents polyamoureux ou en couple ouvert (2019). Son étude a révélé que les parents considéraient comme aidant d’avoir plus d’un.e partenaire pour leur donner un coup de main afin de s’occuper des enfants et faire les tâches domestiques. Selon l’autrice, vu les avantages pour la famille, « il est pertinent de se questionner à savoir si les législations en matière de droit de la famille devraient dépasser le schéma biparental actuel ».

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À la défense de la diversité familiale

Cette non-reconnaissance de la pluriparenté relève-t-elle de la discrimination? C’est bien le cas selon le trouple composé de trois hommes qui a été interviewé dans le cadre de cette enquête : « Il y a plusieurs sujets sur la place publique qui sont débattus, pour lesquels il y a des commissions, comme l’aide médicale à mourir. Par contre, ce n’est pas le cas pour la pluriparenté, qui n’est même pas intégrée dans la refonte du droit de la famille. Le fait de ne pas être reconnu, c’est de la discrimination. »

Mona Greenbaum, directrice de la Coalition des familles LGBT+, abonde dans le même sens : « C’est discriminatoire pour les parents “pluri”
de ne pas être reconnus et ce l’est aussi pour leurs enfants. Tous[.tes] les enfants ont le droit d’avoir des parents. Ces enfants doivent bénéficier d’une protection légale. »

Une des stratégies employées par les personnes revendiquant la pluriparenté est de s’adresser aux médias. C’est le cas, entre autres, du directeur général de l’Association professionnelle des notaires du Québec, François Bibeau, qui a fait paraître une lettre d’opinion dans Le Soleil. Selon lui, on devrait permettre que trois parents soient inscrits à l’acte de naissance d’un.e enfant. 

François Bibeau souligne que le Québec est lié à la Convention des Nations unies. Celle-ci stipule que « l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».

D’autres personnes s’adressent directement aux tribunaux pour faire valoir le droit à la pluriparenté. Par exemple, la Coalition des familles LGBT+ mène une lutte judiciaire auprès de deux autres plaignants : deux couples, un homosexuel et un hétérosexuel, souhaitant fonder une famille avec une amie. Cette cause, qui devrait être entendue en juin 2024, pourrait éventuellement amener les tribunaux à reconnaître les familles pluriparentales.

De plus, un trouple revendique le droit à la pluriparenté devant les tribunaux en argumentant que cette non-reconnaissance contrevient à la Charte des droits et libertés de la personne. L’avocat Michaël Lessard a expliqué à Les 3 sex* que ce trouple fait valoir que les configurations familiales non traditionnelles sont discriminées parce qu’on les empêche d’être pleinement reconnues. Ainsi, le trouple souhaite que certains articles du Code civil – ceux qui stipulent que la filiation doit être détenue par un maximum de deux personnes – soient déclarés inconstitutionnels.

Selon Mona Greenbaum, ces luttes sont nécessaires : « Les familles pluriparentales font partie de la diversité des familles que l’on voit au Québec. Ces familles existent et, pour le bien-être des enfants, nos lois doivent refléter cette réalité. »

La plupart des personnes interrogées dans le cadre de cette enquête ont bon espoir que les luttes actuelles portent fruit. À leur avis, ce n’est qu’une question de temps avant que la pluriparenté soit reconnue légalement au Québec.

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Pluriparenté, polyparenté ou amiparenté?

La pluriparenté est un terme parapluie qui englobe les familles où un.e enfant a plus de deux parents. Pour l’instant, on parle de « pluriparenté sociale » au Québec parce que la pluriparenté n’est pas encore reconnue légalement.

La polyparenté réfère à une famille pluriparentale où les parents sont polyamoureux. Il peut s’agir par exemple d’un trouple qui décide de fonder une famille ensemble.

L’amiparenté, comme l’indique le préfixe « ami », renvoie à une famille pluriparentale dont les parents sont en relation amicale. Il peut par exemple s’agir d’un couple qui décide d’avoir un.e enfant avec un.e ami.e, qui occupera également le rôle de parent auprès de l’enfant.

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¹La ministre Martine Biron a été contactée par Les 3 sex* pour une entrevue à ce sujet, mais elle n’a pas donné suite à cette demande.

² La personne interviewée souhaite conserver son anonymat. 

 

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Références
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Pour citer cet article :

Paré-Roy, E. (2023, 26 juin). La lutte pour la pluriparenté n’est pas terminée. Les 3 sex*. https://les3sex.com/fr/news/2630/enquete-la-lutte-pour-la-pluriparente-n-est-pas-terminee- 

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