de gauche à droite : 1) Plaque commémorative, Gay Walk for Freedom, 1978 2) The Village Voice/Fred W. McDarrah 3) wikipedia.org/Grace.Mahony – Photos modifiées par Les 3 sex*

Chronique • Les émeutes de Stonewall : de l’oppression à l'empowerment

28 juin 2024
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Les émeutes de Stonewall marquent un point tournant dans l’histoire des droits des personnes LGBTQ+ aux États-Unis, mais aussi ailleurs dans le monde. Ces émeutes font référence aux évènements qui se sont déroulés au Stonewall Inn, un bar gai du Greenwich Village, à New York, en 1969. 

Dans les années 1960, les pratiques sexuelles associées à l’homosexualité étaient sujettes à des sanctions juridiques et pénales (Notaro, 2017; Rosenbaum, 2018), car les relations sexuelles avec une personne du même genre étaient criminalisées (Notaro, 2017). Seul l'Illinois avait, à cette époque, dépénalisé l’homosexualité (Rosenbaum, 2018). Diverses lois régissaient également l’expression de genre et la performativité du genre à l’époque, notamment dans l’État de New York, où il était illégal pour toute personne de « porter moins de trois vêtements appropriés à leur sexe » (Rosenbaum, 2018, p.3, traduit de l’anglais). Les multiples lois et décisions juridiques entourant l’identité de genre, l’expression de genre, l’orientation sexuelle et les pratiques sexuelles créaient un climat de surveillance et d’auto-censure, en plus de justifier des descentes de police régulières dans les bars, entraînant violence et répression.

Au-delà des aspects juridiques, l’homosexualité était également considérée comme étant une pathologie nécessitant un traitement psychiatrique (Daigle, 2020; McHenry, 2022). Dans sa première publication en 1952, le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) présentait l’homosexualité comme un exemple de déviance sexuelle sous le trouble de personnalité sociopathe, avant de devenir un diagnostic officiel en 1965 (Daigle, 2020; McHenry, 2022). 

C’est dans ce contexte de répressions que les mouvements en faveur des droits des personnes LGBTQ+ ont pris de l’ampleur, notamment à la suite d’une série d’émeutes survenues à New York en 1969 connue aujourd’hui sous le nom des émeutes de Stonewall (McHenry, 2022). Encore aujourd’hui, les émeutes de Stonewall sont considérées comme un point tournant majeur ayant nourri et encouragé une vague militante en faveur des droits des communautés LGBTQ+ (McHenry, 2022). 

Bien que ces luttes soient encore d’actualité, les années qui précèdent les évènements de Stonewall ont été particulièrement marquées par la discrimination, la stigmatisation et l’oppression systémique des communautés LGBTQ+.

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Photo d'un graffiti publié dans The Village Voice, le 3 juillet 1969
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Un climat de répression, de surveillance et de tension

Dans les années 1960, la discrimination à l’emploi était très élevée : il n’y avait aucune loi protégeant les personnes LGBTQ+ face à un potentiel renvoi. Le droit de pratique chez les médecins, par exemple, pouvait même être révoqué (Rosenbaum, 2018). Même s’il y avait quelques regroupements LGBTQ+1, il n’y avait pas de grand mouvement de revendications (Notaro, 2017). Les regroupements existants luttaient principalement pour la simple reconnaissance de l’homosexualité et étaient une forme de club social. Or, le FBI tenait à jour un registre des « homosexuel.le.s connu.e.s », de leurs ami.e.s et des entreprises qu’ils et elles côtoyaient (Notaro, 2017). 

Les services de police menaient de nombreuses opérations d’infiltration où des policiers en civil prétendaient être à la recherche de relations sexuelles, afin d’arrêter des hommes gais. Il pouvait également y avoir des opérations de type « sweeps » où les personnes présentes dans un lieu public pouvaient  être arrêtées pour « flânage ». Ces actions orchestrées par la police avaient comme but d’éliminer la présence de personnes LGBTQ+ dans les parcs, les plages et les quartiers résidentiels. Ces tactiques étaient particulièrement populaires pendant les années d’élections municipales afin de prouver que le maire sortant prenait la criminalité au sérieux (Notaro, 2017).

À ce contexte sociopolitique hostile s'ajoutaient les règles sévères entourant les permis d’alcool pour les bars. L’État de New York stipulait que « la présence d’un homosexuel connu dans un lieu avec permis d’alcool rend l’endroit désordonné » ce qui le mettait à risque de se faire fermer par les autorités (Rosenbaum, 2018). Dû à ce risque, plusieurs craignaient d’ouvrir un bar gai légal. La majorité des personnes LGBTQ+ se retrouvaient donc dans des bars appartenant à la mafia qui, elle, payait des pots-de-vin à la police afin d’éviter – ou du moins d’être mise au courant – des descentes policières (Rosenbaum, 2018). En plus des descentes policières, la clientèle des bars étiquetés comme gais se retrouvaient souvent révélée dans des journaux locaux, c’est-à-dire que des listes de noms étaient produites et consultables par l’ensemble de la population (Notaro, 2017).

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Scène de la série télévisée A League of Their Own où l’un des personnages féminins se rend dans un bar gai clandestin.
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La nuit du 28 juin 1969 qui marqua les esprits

Le Stonewall Inn, bar où ont débuté les émeutes de Stonewall en 1969, dans le quartier Greenwich Village dans Manhattan, était soupçonné d’avoir appartenu à la mafia durant les années 1960. Il était ainsi suggéré que la mafia payait la police pour connaître à l’avance les moments où il y aurait des descentes et pour s’assurer qu’elles allaient se produire en début de soirée, lui permettant ainsi de rouvrir pour le restant de la soirée (Rosenbaum, 2018). Or, la nuit du 28 juin 1969 n’a pas suivi le scénario habituel : la descente policière a plutôt eu lieu autour de 1 h, alors que le bar était plein. 

La procédure habituelle était d’allumer les lumières, d’aligner la clientèle contre un mur, de vérifier les pièces d’identité et d’assigner les fouilles des personnes aux allures féminines à des policières. La police prenait donc le temps de vérifer les organes génitaux des personnes présentes et de vérifier si elles portaient moins de trois vêtements appropriés à leur sexe. Néanmoins, cette fois-ci, les femmes ont refusé de suivre les policières pour la fouille et les hommes ont refusé de présenter leurs pièces d’identité. La tension était donc à son comble. 

Une fois que les personnes avaient la permission de quitter l'enceinte du bar, elles restaient devant celui-ci, dans la rue, pour attendre leurs ami.e.s encore à l’intérieur. Ne sachant pas ce qu’il se produisait à l’intérieur, s’il y avait de la violence physique en plus de la violence psychologique, les minutes s’écoulaient et la panique gagnait la foule qui s’était mise à grossir et à inclure des passant.e.s et résidant.e.s du quartier (Notaro, 2017; Rosenbaum, 2018). 

Lorsqu’une des personnes lesbiennes arrêtées fût frappée à la tête par un policier et qu’elle cria « Why don’t you guys do something?2 », la foule répondit en lançant des roches, des briques, des bouteilles de bière et des poubelles en métal vers les policiers et policières. Assez rapidement, certaines personnes mirent le feu à des déchets qu’elles lancèrent à l’intérieur du bar où se trouvaient encore des membres du corps policier. La foule continuait de grossir, atteignant des milliers de personnes. Elle s’est mise à pourchasser et à se moquer de la police. La foule ne se dispersa qu’autour de 4 h. Les manifestations se répétèrent au total cinq nuits.

« We are the Stonewall girls / We wear our hair in curls / We have no underwear / We show our pubic hairs » 
– Chant entendu lors des émeutes de Stonewall (The Village Voice, 3 juillet 1969)

Des médias comme le New York Times ont rapporté les évènements en mettant l’accent sur les blessures policières et en présentant de fausses informations, par exemple, comme quoi les personnes présentes étaient toutes des hommes (The New York Times, 29 juin 1969), effaçant la contribution, notamment, de femmes trans et racisées comme Marsha P. Johnson et Sylvia Rivera (Appenroth, 2015). Des médias plus subversifs, comme le Berkeley Barb, en Californie, ont plutôt rapporté les évènements sous l’angle du ras-le-bol vécu par les communautés LGBTQ+ qui se sont révoltées face aux injustices vécues (Berkeley Barb, 4-10 juillet 1969). The Village Voice, un journal alternatif qui était situé, à l’époque, près du Stonewall Inn, a été le premier média à présenter les émeutes de Stonewall à la une d’un journal, rapportant consciencieusement les faits et la chronologie des évènements.

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Marsha P. Johnson, activiste trans (crédit photo : wikipedia/Pay It No Mind
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Sylvia Riviera, activiste trans (crédit photo : wikipedia/Roseleechs)
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Le après-Stonewall

Les émeutes de Stonewall marquèrent un changement décisif dans la défense des droits LGBTQ+, favorisant l'empowerment de ces communautés (Rosenbaum, 2018). Ces évènements ont permis aux communautés LGBTQ+ de s’organiser, contribuant ainsi à la création de groupes militants et à l’avènement de la première marche de la fierté à New York. Ainsi, un an après les émeutes de Stonewall, le 28 juin 1970, une marche débutant au Stonewall Inn fût organisée pour commémorer les évènements de l’année précédente. Cette première marche de la fierté organisée est devenue une tradition annuelle et a inspiré des communautés LGBTQ+ à travers le monde à organiser des marches ou des manifestations de fierté (Notaro, 2017; Rosenbaum, 2018). 

Un autre legs des émeutes de Stonewall a été le retrait du diagnostic de l’homosexualité du DSM-2 en 1973, remplacé par celui de perturbation de l’orientation sexuelle (Daigle, 2020). En effet, en 1970, l’année suivant les évènements du Stonewall Inn, des activistes ont interrompu le rassemblement annuel de l’American Psychology Association (APA) en argumentant que le diagnostic favorisait la stigmatisation à l’égard des personnes homosexuelles (Drescher, 2015; McHenry, 2022). Trois ans plus tard, la décision de l’APA de retirer l’homosexualité du DSM marquera le début de changements importants sur le plan social et médical pour les personnes LGBTQ+ (Drescher, 2015). 

Les émeutes ont également mis de l’avant le besoin des communautés LGBTQ+ de s’organiser. La reprise de pouvoir et la nécessité de revendications catalysées par les évènements du 28 juin 1969 ont permis à plusieurs personnes de former des regroupements et des organisations pour lutter collectivement pour les droits des communautés LGBTQ+ (Rosenbaum, 2018).

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Les répercussions au Canada

Au Canada, l’année 1969 marque l'apparition d’un projet de loi omnibus. Ce projet de loi introduit la décriminalisation partielle de l’homosexualité par le gouvernement fédéral de Pierre Elliot Trudeau (Fierté Montréal, 2024; Hooper, 2019; Kimmel et Robinson, 2001). Le gouvernement Trudeau considérait que l’État n’avait pas à s’immiscer dans « les chambres à coucher de la nation » (Kimmel et Robinson, 2001). Ce changement de loi stipulait qu’il était dorénavant permis pour deux adultes consentant de « même sexe » de plus de 21 ans d’avoir des relations sexuelles en privé (Hooper, 2019). Or, comme le souligne habilement l’historien Tom Hooper, le projet de loi impliquait que la légalité des relations de nature sexuelle entre personnes de « même sexe » était limité à certains contextes (Hooper, 2019). Ce changement de loi a eu pour effet d’augmenter la répression policière et, par conséquent, le nombre d’arrestation de personnes LGBTQ+ qui fréquentaient des bars gais ou pratiquaient tous actes sexuels qui ne s’inscrivaient pas dans le projet de loi omnibus (Hooper, 2019). En effet, les forces policières utilisaient des infractions non touchées par le projet de loi omnibus (p.ex. grossière indécence, action indécente, vagabondage ou fréquentation de maison de débauche) pour justifier des arrestations de masse de personnes LGBTQ+ (Hooper, 2019).

Entre 1969 et le début des années 1980, la police fît de nombreuses descentes dans les bars gais à travers le Canada. À Montréal, notamment, lors de la nuit du 22 octobre 1977, se déroula une importante descente de police au bar le Truxx et près de 150 personnes furent arrêtées et accusées d’avoir fréquenté une maison de débauche (Fierté Montréal, 2024). Cette descente policière occasionnera une importante manifestation en faveur des droits des personnes LGBTQ+ qui se soldera par une modification de la Charte des droits et libertés du Québec visant à interdire la discrimination basée sur l’orientation sexuelle (Fierté Montréal, 2024). Ce célèbre évènement est connu sous le nom de « Stonewall montréalais » (Fierté Montréal, 2024). 

Des évènements similaires ont eu lieu à travers le pays, notamment en 1981, année qui marquera un tournant pour les communautés LGBTQ+ d’Edmonton et de Toronto. Des groupes d’activistes se révoltèrent, engendrant ainsi des évènements similaires à celui de Stonewall (Vickery, 2023a). Ces mouvements de protestation ont éventuellement mené à la modification de la Charte des droits et libertés canadienne en 1996 qui interdit dorénavant la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle (Gouvernement du Canada, 2023). 

Les émeutes de Stonewall auraient inspiré les communautés LGBTQ+ canadiennes à initier des changements en militant contre l’oppression et en luttant pour les droits des personnes LGBTQ+ (Vickery, 2023b). Au Canada, l’influence des émeutes de Stonewall s’est traduite par la création de nombreux groupes de libération homosexuelle au début des années 1970, ainsi qu’à une montée importante de l’activisme en faveur des droits des personnes de la diversité sexuelle et de genre (Fierté Montréal, 2024; Vickery, 2023b). Les années 1970 marquent également le début des premiers festivals de la fierté à travers le Canada, avec la tenue d’évènements à Vancouver, Toronto, Winnipeg, Ottawa, Montréal et Saskatoon (Queer events, 2024). 

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Un tract pour inviter les montréalais.es à manifester à la suite des arrestations au bar Truxx.
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Des luttes à poursuivre

Malgré les avancées importantes des 50 dernières années en faveur des droits des personnes de la diversité sexuelle et de genre, les luttes ne sont pas terminées. Au Canada, on assiste actuellement à une recrudescence de violations des droits des personnes trans et/ou non binaires, visant particulièrement les enfants de la diversité de genre. Notamment dans les écoles du Nouveau-Brunswick, de l’Alberta et de la Saskatchewan, où on ne leur permet plus d'utiliser un prénom ou des pronoms différents de ceux assignés à la naissance sans le consentement des parents (de Muns, 2024). Un second exemple est l’interdiction, par le ministre de l’Éducation, de construire des toilettes non genrées dans les écoles (de Muns, 2024). Ce contexte sociopolitique contribue à l’acceptation de discours haineux et violents à l'égard des communautés LGBTQ+, et donc à une précarité des droits des personnes LGBTQ+ suggérant que les acquis demeurent précaires et que les luttes ne sont pas terminées.

Notamment, la Mattachine Society et les Daughters of Bilitis, fondés tous deux dans les années 1950.

2 « Pourquoi ne faites-vous pas quelque chose? » (traduction libre)

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Pour en savoir plus
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Références
Stonewall, droits sexuels, LGBTQ+, new york, droits LGBTQ+, queer, libération, mouvement, manifestation, histoire, politique, révolte

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