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Chronique • La revenge porn : de la pornographie qui n’en est pas

4 septembre 2019
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La majorité des études sur la revenge porn portent sur des relations hétérosexuelles en adoptant une analyse féministe « homme agresseur / femme victime » du phénomène. C’est pour cette raison que cette chronique conservera le mot « agresseur » au masculin tout au long du texte. Cela n’exclut cependant pas qu’il soit possible que des femmes, des personnes non binaires ou des personnes dans des relations non hétérosexuelles soient auteur.e.s de revenge porn.

En novembre 2017, en Australie, Facebook testait un système controversé visant à combattre la revenge porn  : les utilisateurs et les utilisatrices de la plateforme étaient appelé.e.s à envoyer leurs photos explicites afin qu’elles soient reconnues si elles venaient à être partagées sans leur consentement (Radio-Canada, 2017). Depuis mai 2018, le projet pilote est implanté au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni (Radio-Canada, 2018).

La revenge porn est une problématique ayant pris de l’ampleur au fil des dernières années. Au Québec, un.e adulte est accusé.e chaque semaine d’avoir recouru à de la revenge porn (Maheu, 2017). Considérant l'expansion de cette forme de violence sexuelle, il apparaît essentiel de se questionner quant aux impacts sur ses victimes. Cette chronique vise à mieux comprendre ce phénomène qui est au coeur de l’actualité en se penchant sur les réalités des femmes cis et trans adultes, étant donnée que les femmes sont plus sujettes à vivre des violences sexuelles (Statistique Canada, 2010). De plus, le cas des personnes mineures ne sera pas abordé puisque différentes lois s'appliquent à celles-ci (Code criminel, LRC, 1985, ch. C-46, art. 163.1). Par exemple, une image explicite d’un.e adolescent.e est plutôt considérée comme de la pornographie juvénile, indépendamment de la présence ou de l'absence de consentement lors de l’échange d’images (Éducaloi, 2019).

Ni de la pornographie ni de la vengeance

L’expression revenge porn (aussi désignée par involuntary porn, non-consensual pornography et cyber rape) est définie comme une distribution d’images sexuellement explicites d’une personne sans qu’elle y ait consenti (Citron et Franks, 2014; Henry et Powell, 2016; McGlynn et Rackley, 2017; McGlynn et al., 2017; Salter, 2013; Scheller, 2014; Sirianni, 2015). S’il semble y avoir un accord tacite sur cette définition, il ne semble pas y avoir de consensus quant aux actes pouvant être qualifiés de revenge porn. Ainsi, des auteur.e.s incluent toutes images intimes, qu’elles aient été produites ou obtenues avec le consentement de la victime, à son insu ou sous la contrainte, alors que d’autres précisent l’aspect volontaire de la création de l’image (Citron et Franks, 2014; McGlynn et Rackley, 2017; McGlynn et al., 2017; Salter, 2013; Scheller, 2014; Siranni, 2015). L’appellation revenge porn est par ailleurs critiquée.

En effet, elle suggère une motivation unique, la vengeance, qui renvoie à tort au concept de pornographie et est axée sur l’agresseur plutôt que sur la nature violente de l’acte, éclipsant la victime et les conséquences qu’elle subit (Franks, 2015; McGlynn et Rackley, 2017; McGlynn et al., 2017).

Pour résoudre ce dilemme, certain.e.s auteur.e.s proposent l’utilisation d’image-based sexual abuse. Expression plus large permettant de mieux cerner la revenge porn en la plaçant sur un continuum de violences sexuelles et qui recadre la problématique du point de vue de la victime en mettant l'accent sur son vécu (McGlynn et Rackley, 2017; McGlynn et al., 2017). De façon similaire, la Loi canadienne parle de « distribution non consensuelle d’images intimes » :

Quiconque sciemment publie, distribue, transmet, vend ou rend accessible une image intime d’une personne, ou en fait la publicité, sachant que cette personne n’y a pas consenti ou sans se soucier de savoir si elle y a consenti ou non […]. Au présent article, « image intime » s’entend d’un enregistrement visuel – photographique, filmé, vidéo ou autre – d’une personne, réalisée par tout moyen, où celle-ci y figure nue, exposant ses seins, ses organes génitaux ou sa région anale ou se livrant à une activité sexuelle explicite; se trouvait, lors de la réalisation de cet enregistrement, dans des circonstances pour lesquelles il existe une attente raisonnable de protection en matière de vie privée; a toujours cette attente raisonnable de protection […] au moment de la perpétration de l’infraction. (Code criminel, LRC, 1985, ch. C-46, art. 162.1).

À des fins de compréhension, le terme revenge porn sera employé dans cette chronique, mais c'est la définition ci-dessus du Code criminel canadien qui primera tout au long du texte.

Un phénomène en mal de statistiques

Bien que la revenge porn suscite l’intérêt de plusieurs chercheur.e.s, peu de données existent à son sujet. Aux États-Unis, plus d’un tiers des adultes créera et partagera des photos nues d’eux et d’elles-mêmes sur internet (Jayson, 2008). D’après une étude menée en Australie, une personne sur cinq fera l’expérience d’une agression liée au partage de leur image, en ligne ou hors ligne (Henry et al., 2017). Bien que les hommes soient plus nombreux à partager du contenu pornographique d’eux-mêmes à autrui, les femmes sont celles qui craignent le plus les répercussions possibles d’un tel partage (Henry et al., 2017; McAfee, 2013).

Les études ne s’entendent pas sur la prévalence du genre chez les victimes de revenge porn. Ainsi, l’une rapporte que les hommes seraient davantage victimes du phénomène de la revenge porn (McAfee, 2013). Une autre rapporte que les hommes et les femmes seraient à égale mesure victimes du phénomène (Henry et al., 2017), alors que la Cyber Civil Rights Initiative (2014) avance que 90 % des victimes seraient des femmes. Les données de celle-ci ont été utilisées, entre autres, pour supporter la thèse d’une victimisation genrée, bien que la méthodologie de l’étude ait été critiquée (Citron et Franks, 2014; Henry et Powell, 2016; McGlynn et Rackley, 2017). Des observations sur des sites internet facilitant la revenge porn portent à croire que les femmes sont nettement plus affectées que les hommes (Whitmarsh, 2015a, 2015b cité dans McGlynn et al., 2017). Certain.e.s chercheur.e.s avancent qu’elles vivraient de plus grands impacts sur leur estime de soi, leur statut social, mais aussi sur leur vie sexuelle (Citron et Franks, 2014; McGlynn et Rackley, 2017; Scheller, 2014). En ce sens, cet enjeu relatif au pouvoir dépasse la relation dyadique en témoignant plus largement des inégalités sociales liées au genre et du contrôle exercé sur la sexualité des femmes. Le phénomène est entre autres influencé par le double standard qui permet une moins grande liberté sexuelle aux femmes (McGlynn et Rackley, 2017; Citron et Franks, 2014; Scheller, 2014).

Les cas de revenge porn seraient souvent associés à d’autres chefs d’accusation tels que des menaces, du harcèlement, de l’intimidation psychologique ou des attaques physiques (Radio-Canada, 2017). De plus, selon une enquête australienne, une personne handicapée sur deux et un.e Australien.ne aborigène sur deux rapportent avoir été victimes de revenge porn (Henry et al., 2017). Selon cette même enquête, cette forme de violence sexuelle serait plus fréquente chez les personnes lesbiennes, gaies et bisexuelles.

Pas (seulement) la faute d’internet

Le harcèlement et les menaces liés à la publication non consentante d’une personne sont des principes aussi anciens que la photographie (Henry et Powell, 2016; McGlynn et Rackley, 2017; Salter, 2013; Scheller, 2014). L’arrivée d’internet n’a fait qu'apporter une nouvelle façon de perpétrer ces violences puisqu’il est un moyen privilégié pour l’extorsion, par la facilité de diffuser à grande échelle une photo ou des informations personnelles (Henry et Powell, 2016; McGlynn et al., 2017). Un des premiers cas ayant fait les manchettes, bien avant la démocratisation d’internet, est celui de Marilyn Monroe et du photographe Tom Kelly en 1949. La jeune actrice avait vendu des photos de son corps nu au photographe pour cinquante dollars avant qu’elle ne devienne une célébrité. Trois ans plus tard, alors que la carrière de Monroe décollait, le photographe a vendu les photos à un magazine érotique menaçant la vie professionnelle de l’actrice. Au final, Monroe s’est attiré la sympathie du public plutôt que son dégoût (Scheller, 2014).

D’autres cas de revenge porn existent en dehors du web. Par exemple, le cas médiatisé d’un homme qui, pour se venger à la suite d’une rupture, avait déposé des DVD de rapports sexuels filmés sans le consentement de son ex-partenaire sur le pare-brise de plusieurs voitures de leur quartier, en plus d’y laisser les coordonnées de la femme (Citron et Franks, 2014). Bien que la diffusion de matériel explicite sans consentement est facilitée par la démocratisation d’internet, il reste néanmoins que le partage d’informations personnelles d’autrui est illégal depuis longtemps (Citron et Franks, 2014). En 2010, le site IsAnybodyUp, l’un des premiers dédiés au partage de revenge porn, voit le jour et offre une plateforme pour publier des photos, vidéos, mais aussi les informations personnelles des victimes (Stroud, 2014).

L’auteur de ce site particulièrement hostile aux victimes répondait aux plaintes de ces dernières en partageant de nouveau leurs images dans une section nommée le daily hate (Salter, 2013). Un autre site, IsAnybodyDown, réussissait à obtenir des informations personnelles sur les victimes par la création d’un service d’avocats fictif leur venant soi-disant en aide. Lorsque les femmes demandaient de l’aide à ce service d’avocats, le propriétaire du site leur exhortait une somme importante pour le retrait des photos du site web (Salter, 2013).

« Elle avait juste à pas s’prendre en photo toute nue »

Dans la dernière décennie, le phénomène du sexting, c’est-à-dire des échanges de photos ou de vidéos à caractère sexuel par messages textes, facilité par l’omniprésence des téléphones intelligents, s’est répandu (Henry et Powell, 2016). Les hommes sont plus portés à partager des photos intimes d’eux-mêmes, alors que les femmes partagent davantage ce genre de photo à un partenaire de confiance (Bates, 2017; Henry et al., 2017). Les femmes ayant elles-mêmes produit et partagé les images sont moins prises au sérieux par les autorités et se retrouvent à porter le blâme de l’agression (Bates, 2017; Citron et Franks, 2014; McGlynn et Rackley, 2017; Salter, 2013). Ayant démontré une autonomie et une agentivité sexuelle, les victimes sont punies publiquement pour leur non-respect des attentes sociales à leur égard, phénomène qui a un impact sur toutes les femmes, qu’elles soient la cible de revenge porn ou non, en leur rappelant leur rôle sexuel (McGlynn et Rackley, 2017; McGlynn et al., 2017). Celui-ci consiste à être des « gardiennes de la sexualité », c’est-à-dire que le « privilège », dans un contexte hétérosexuel, de permettre ou non la relation sexuelle revient aux femmes, cette relation sexuelle devant être réservée à une relation monogame et privée (Citron et Franks, 2014). Il devient donc dérangeant de voir des femmes prendre le contrôle de leur sexualité. Et lorsqu’elles prennent le contrôle de leur sexualité, la probabilité d’être victime de harcèlement augmente (Citron et Franks, 2014).

La problématique du victim-blaming est aussi liée à une compréhension erronée de ce qu’est le consentement. Le fait qu’une personne consente à produire ou partager à un partenaire une image d’elle-même n’implique pas qu’elle consente à ce que cette image soit partagée à d’autres individus dans un contexte différent (Citron et Franks, 2014).

Or, plutôt que d’aborder cette notion de consentement, plusieurs interventions visant la prévention des crimes sexuels liés aux technologies auprès des jeunes mettent l’accent sur les comportements des potentielles victimes. Principalement, en axant sur l’importance de ne jamais partager de photos intimes de soi, ce qui peut constituer une forme de victim-blaming ainsi qu’une forme de contrôle de la sexualité (Ça sexprime, 2012; Mercier, 2017; Ministère de la Sécurité publique du Québec, 2012; Pelletier, 2015).


Un besoin criant de recherche sur la forme de violence qu’est la revenge porn

Peu d’auteur.e.s se sont penché.e.s sur la revenge porn et le peu d’articles portant sur le sujet rapportent les mêmes statistiques provenant des mêmes sources, notons la faible quantité d’études empiriques portant sur le sujet bien précis de la revenge porn, et le fait que les études s’intéressant à ce sujet abordent surtout les conséquences du sexting chez les personnes mineures (Henry et Powell, 2016). De plus, il est difficile de connaître la prévalence du phénomène puisque peu d’études quantitatives ont été réalisées et que les statistiques disponibles proviennent principalement de deux sondages en ligne : le sondage présenté par le site web Cyber Civil Rights Initiative (2014) qui a démarré la campagne « End Revenge Porn » ainsi que l’étude de 2013 commandée par McAfee (entrevues en ligne). Ces études ne prennent pas en compte le contexte de l’agression ni ses conséquences (Henry et Powell, 2016). Notons que McAfee est une compagnie vendant des produits visant la protection contre le cybercrime et que leurs études sont menées par la firme MSI International, spécialisée dans la recherche marketing, et non pas en études sociales (McAfee, 2013; MSI International, 2018). La rigueur scientifique de celle-ci est incertaine. De plus, l’absence de définition faisant l’unanimité complique la capacité à mesurer le phénomène (Henry et Powell, 2016; McGlynn et al., 2017). Plusieurs auteur.e.s s’appuient aussi sur des articles de journaux ou des billets issus de blogues révélant un manque de rigueur scientifique.

Globalement, les études sont faites dans un contexte hétéronormatif qui met l’accent sur l’homme agresseur et la femme victime, alors que la réalité est plus complexe. Les personnes issues des communautés LGBTQ+ ne sont pas incluses dans les études ou, du moins, n’y sont pas mentionnées spécifiquement, alors qu’il est connu que les personnes LGBTQ+ sont plus à risque de vivre maintes formes de violence (St-Pierre, 2017). En bref, trop peu d’informations sur la prévalence, les conséquences et les dynamiques impliquées sont disponibles (Citron et Franks, 2014; Henry et Powell, 2016).

Il est évident que plus de recherches doivent être réalisées pour comprendre ce phénomène. Quelques publications mettent l’accent sur la vision de l’auteur de la revenge porn et plusieurs autres sur les lois entourant cet enjeu, mais peu d’entre elles portent sur la compréhension du phénomène selon la perspective des victimes (Brady, 2017; Citron et Franks, 2014; DeKeseredy et Schwartz, 2016; Fiedler, 2013; Franks, 2015; Sirianni, 2015). Tel que mentionné plus haut, plusieurs limites (manque de rigueur scientifique des études, contexte hétéronormatif, accent sur les auteurs de revenge porn, etc.) ont étés soulevées dans les études recensées et il devient nécessaire de documenter le phénomène sous tous ses angles. Par exemple, des recherches pourraient étudier le rôle de l'origine ethnique ou le rôle de la classe sociale sur les expériences de revenge porn (Bates, 2017). Se pencher sur les impacts sociosexuels des victimes aiderait à mieux cibler le type d’intervention nécessaire. Documenter et recenser la prévalence de la revenge porn contribuerait à évaluer l’ampleur du phénomène. Parler des réalités des personnes LGBTQ+ permettrait d’élargir la compréhension de la revenge porn et d’adapter l’intervention. Bref, l’importance de l’intervention sexologique propre à la problématique de la revenge porn devrait être mise de l’avant afin de favoriser le développement de différentes formes d’intervention. À cet effet, la prévention, l’éducation et la sensibilisation de la population aux risques potentiels du sexting et de la revenge porn sont nécessaires. Toutefois, une sensibilisation sur le victim-blaming qui remettrait à l’auteur la responsabilité de son crime, est aussi fondamentale : elle pourrait minimiser les impacts de la culture du viol sur les victimes de revenge porn. Puis, il est essentiel de mettre à la disposition des victimes les informations claires et valides quant aux lois, aux démarches de retrait des images sur les moteurs de recherche et quant aux ressources existantes. Il s’agit également de militer pour la visibilité de cette problématique en tant qu’intervenant.e et de sensibiliser les milieux professionnels à reconnaître et intégrer le phénomène du revenge porn dans l’intervention.

Cette chronique est inspirée d’un travail rédigé dans le cadre du cours SEX3104 - Problématiques sexologiques des violences et des abus sexuels donné à l’Université du Québec à Montréal à l’hiver 2018. L’auteure tient à remercier ses collègues Brenda Aguiar-Cabral, Amélie Bouchard et Ariane Brisson pour leur précieuse collaboration.

 

Ressources
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Références
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Pour citer cette chronique :

Gilbert, M. (2019, 4 septembre). La revenge porn : de la pornographie qui n'en est pas. Les 3 sex*https://les3sex.com/fr/news/754/la-revenge-porn-de-la-pornographie-qui-n-en-est-pas 

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