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Chronique • Qui s’y frotte s’y pique

4 mars 2017
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J’ai longtemps pensé que j’étais maudite en termes de partenaires sexuels. Ce n’est pas parce que j’ai de piètres amants, bien au contraire, mais parce je dois souvent m’obstiner à n’en plus finir pour qu’ils acceptent d’enfiler un condom. Leurs excuses, je les connais par cœur : « Je veux pas mettre de condom parce que ça me serre trop », « Ça m’empêche de bien sentir », « Ça sert à rien, tu prends déjà la pilule », « Inquiète toi pas, je suis clean », etc. Quand j’insiste, je me fais inévitablement répondre que, voyons donc, je panique beaucoup trop, que je suis une vraie paranoïaque. Reste que rares sont ceux qui acceptent d’en mettre un. Promis, juré, je n’exagère même pas un peu.

Les ITSS (Grand-Papa, si tu me lis, ce sont les maladies vénériennes de ton temps) sont en train de devenir un véritable fléau. C’est certain que ça n’accote pas encore les épidémies de peste noire du Moyen-Âge, et il est possible que je vois le problème pire qu’il est étant donné que je fais ma thèse de maîtrise sur un aspect du sujet. Reste que les taux rapportés d’ITSS au Québec et au Canada sont en progression fulgurante depuis les dernières années et c’est à mon avis un problème insidieux auquel on n’accorde définitivement pas assez d’importance.

Un, deux, trois, j’ai la chlamydia…

Paranoïaque, disiez-vous? Je ne penserais pas. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Depuis la fin des années 1990, les cas de chlamydia, de gonorrhée et de syphilis n’ont cessé d’augmenter à un rythme alarmant au Canada (PHAC, 2011; PHAC, 2013). En effet, à l’échelle nationale, on a pu observer une hausse de 72 % des cas de chlamydia, de 53 % des cas de gonorrhée et de 457 % des cas de syphilis entre 2001 et 2010 (PHAC, 2013).

Au Québec comme au Canada, c’est la chlamydia qui gagne la palme d’or en termes d’incidence (INSPQ, 2015; PHAC, 2015). En 2014, au Québec seulement, 23 198 cas de chlamydia ont été reportés comparativement à 17 362 quatre années auparavant. Cela représente un taux de 282,1 pour 100 000 personnes (INSPQ, 2015). En termes de comparaison, le taux brut d’incidence de salmonellose en 2014 au Québec était de 18,01, celui de la gastro-entérite épidémique, 4,87 et celui de la maladie de Lyme, 1,47 par 100 000 personnes (INSPQ, 2015).

Toujours pas convaincu.e? Toujours en 2014 au Québec, 29 000 cas d’ITSS ont été déclarés, ce qui représente 75 % des maladies reportées dans le cadre du fichier des maladies à déclaration obligatoire (MADO) (INSPQ, 2015). Les ITSS qu’on croyait en déclin (comme la lymphogranulomatose vénérienne [LGV] par exemple) reprennent des forces et contribuent à la hausse des ITSS reportées (INSPQ, 2015).

Ce qui est inquiétant, c’est que cette tendance ne cesse de s’amplifier
(INSPQ, 2015; PHAC, 2013).

Bien que l’on voie une recrudescence marquée dans le taux d’ITSS chez les personnes âgées (party dans le CHSLD, n’est-ce pas, mamie?), le groupe d’âge le plus touché est celui des jeunes (15-29 ans) (INSPQ, 2015; OPH, 2011; PHAC, 2013). En effet, en 2010, c’était dans le groupe des 15-19 ans que l’on retrouvait le plus haut taux d’infections gonococciques (gonorrhée) et dans celui des 20-24 ans que l’on retrouvait le plus haut taux d’infections à Chlamydia trachomatis (chlamydia) (PHAC, 2013). Me trouvez-vous un peu moins parano?

Quatre, cinq, six, et p’t-être la syphilis

Bien entendu, cette hausse considérable d’ITSS que l’on remarque depuis une vingtaine d’années ne peut pas être due qu’au fait que le nombre d’infections et de personnes infectées augmente. En effet, différentes raisons contribuent à l’explication du phénomène.

D’abord, les tests de dépistage ont évolué et sont beaucoup plus exacts qu’auparavant, en plus de pouvoir détecter une infection plus tôt (merci, les TAAN-tests d’amplification des acides nucléiques) (INSPQ, s.d.; PHAC, 2011; PHAC, 2013). Maintenant, ils permettent également de détecter les infections extragénitales (p. ex. infections rectales à Chlamydia trachomatis) (INSPQ, 2015). Le nombre de ces tests a aussi augmenté de 31 % entre 2009 et 2014 (INSPQ, 2015). Ainsi, certains cas d’ITSS qui passaient inaperçus auparavant sont maintenant démasqués (OPH, 2011). De façon similaire, il est maintenant plus aisé d’avoir un historique exact des partenaires sexuel.le.s d’un.e patient.e grâce à l’utilisation de techniques de retracement comme le social networking approach, ce qui permet de retracer plus de personnes infectées, de manière beaucoup plus efficace et précise (Ogilvie et al., 2005; PHAC, 2011).

Ensuite, le fait que les individus aient une vie sexuelle active plus étendue (débutant tôt et finissant tard) n’est pas étranger au phénomène. En effet, les jeunes sont sexuellement actifs et actives à un âge précoce et ont une fréquence élevée de relations (INSPQ, s.d.) La population en général reste aussi sexuellement active de plus en plus longtemps (merci Viagra et compagnie) (Steben et Laberge, 2006). De même, l’utilisation de sites de rencontres en ligne ou d’applications mobiles comme Tinder ou Bumble permet d’avoir un accès facile à de multiples partenaires sexuel.le.s et expose davantage la population aux ITSS (Bhattacharya, 2015; INSPQ, s.d.).

Une autre cause pouvant expliquer la hausse colossale du taux d’ITSS est le phénomène du safe-sex fatigue ou condom fatigue. Ce phénomène que je traduis librement par « paresse du préservatif » se définit par la baisse de popularité quant à l’utilisation du condom (Rowniak, 2009). Ceci s’explique entre autres par le fait qu'on ne voit plus vraiment le but de l'utiliser (Rowniak, 2009). Effectivement, depuis une dizaine d’années, une certaine lassitude ou fatuité s’est installée quant à l’utilisation du préservatif.

Cette paresse du préservatif se traduit par une indifférence par rapport à la protection lors de rapports sexuels et une insouciance par rapport aux ITSS (Rowniak, 2009).

Lors des années 1980-1990, la peur du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et du syndrome d’immunodéficience humaine acquise (SIDA) était beaucoup plus présente qu’elle l’est maintenant et cela incitait les gens à se protéger davantage lors de rapports sexuels (Aral et al., 2006; Steben et Laberge, 2006). De nos jours, une fausse croyance semble gagner du terrain; que l’on puisse maintenant guérir le VIH/SIDA. Cette certitude erronée, je l’entends souvent lors des ateliers d’éducation à la sexualité que je coanime alors qu’elle n’est pas fondée. La technologie actuelle permet de traiter le VIH grâce à une combinaison d’antirétroviraux qui contrôlent la réplication du virus, mais pas de le guérir et de l’éradiquer totalement (le patient de Berlin étant l’exception à la règle) (PVSQ, 2016).

Ceci m’amène à parler d’une autre cause majeure expliquant la hausse du taux d’ITSS : la désinformation et le manque d’éducation. Je persiste à croire que malgré tous les efforts mis en santé publique afin d’éduquer les gens par rapport à leur santé sexuelle, il reste énormément de travail à accomplir. Chaque jour, j’entends des mythes ou de fausses idées quant à la santé sexuelle ou reproductive durant les ateliers que je donne dans les écoles secondaires, mais aussi lors de tribunes radiophoniques, sur les réseaux sociaux, dans mon entourage, etc. Il y a un manque cruel de connaissances relatives à la sexualité. Selon moi, notre société reste très mal avisée côté santé sexuelle. Juste en termes d’ITSS, le manque de connaissances est flagrant. Pour ceux et celles aspirant à travailler ou qui travaillent déjà dans le domaine de la santé sexuelle, je suis presque certaine que vous aussi, vous entendrez les affirmations suivantes et devrez fournir des précisions pour corriger le tir.

« Si je n’ai aucun symptôme, c’est certain que je n’ai pas d’ITSS ».

C’est faux. Beaucoup de personnes infectées ne présentent souvent aucun symptôme. Par exemple, dans le cas d’infection à la Chlamydia trachomatis, seulement environ 10 % des hommes et 5 à 30 % des femmes ayant la chlamydia présentent des symptômes (Farley et al., 2003; Korenromp et al., 2002), d’où l’importance d’encourager les gens à passer des tests de dépistage régulièrement, surtout s’ils et elles ont plusieurs partenaires et encore plus s’ils et elles n’utilisent aucune méthode de protection contre les ITSS.

« Je mets toujours des condoms avec mes partenaires ».

Je lui demanderais si elle ou il en met également lors de relations sexuelles orales. Parce que, oui, les ITSS se transmettent via sexe oral (PVSQ, 2016), d’où l’utilité des digues dentaires pour les cunnilingus ou les anulingus ou du condom masculin (externe) lors de fellations. J’insisterais en disant que c’est moins spontané, certes, mais une sexualité en santé, c’est tellement sexy!

« Non, je ne me protège pas, mais ce n’est pas si grave!
Au pire, un petit traitement aux antibios et hop, prêt.e à repartir! ».

Faux. On voit ici les échos modernes des effets de la découverte de la pénicilline : une indifférence et une certaine suffisance de la part du public par rapport aux ITSS (CPHL, s.d.). Lorsqu’on entend ce genre d’affirmation, il faut remettre les pendules à l’heure en disant que bien que certaines ITSS puissent être guéries grâce à un traitement antibiotique, la situation est en train de devenir de plus en plus complexe à cause du phénomène de résistance aux antimicrobiens.

En effet, certaines ITSS que l’on pouvait auparavant guérir ne sont plus guérissables : certains micro-organismes se sont adaptés et les antibiotiques n’ont plus aucun effet sur l’infection (Gouvernement du Canada, 2014). Par exemple, certaines souches de gonocoque ont été trouvées polypharmacorésistantes (WHO, 2016). Il est donc impossible de les guérir avec les traitements actuels (PHAC-2, 2013). Actuellement, il existe 32 souches de gonorrhée résistantes expliquant 60 % des cas de gonorrhée dans le monde (PHAC-2, 2013). Enfin, même si certaines ITSS bactériennes peuvent être guéries grâce aux antibiotiques, d’autres ne le sont pas du tout : on les a pour le restant de notre vie. C’est le cas du VIH ou de l'herpès par exemple. Il faut donc conscientiser les gens à propos de ce faux sentiment de sécurité qui peut les rassurer lorsqu’ils ont des comportements à risque.

Sept, huit, neuf, dans mon G-string neuf…

Il y a aussi la croyance populaire qui dit que s’il n’y a aucun symptôme présent, ça ne doit pas être si grave, alors pourquoi faire l’effort de traiter? Il est important d’expliquer que les ITSS peuvent avoir de très graves conséquences. À court terme, en plus de devoir subir tous les symptômes habituels pouvant accompagner une ITSS, en être atteint multiplie par trois les chances d’acquérir le VIH (surtout si on parle d’herpès, de syphilis ou de trichomonas) (WHO, 2016).

À long terme, les ITSS peuvent causer l’infertilité, des grossesses extra-utérines (Mayaud et McCormick, 2001; PHAC, 2013; WHO, 2016), des atteintes aux organes internes tels que le foie, les cancers sexuels (comme le bien connu cancer du col de l’utérus) (PHAC, 2013), des lésions génitales, un affaiblissement du système immunitaire, (Santé Publique Outaouais, s.d.), des douleurs chroniques (Santé Montréal, 2015), des épididymites (INSPQ, s.d.), etc. Outre les conséquences physiques, il y a également des conséquences sociales, psychologiques et interpersonnelles non négligeables au fait d’être infecté.e par une ITSS. Imaginez-vous le fardeau économique que représentent toutes les prises en charge de patient.e.s infecté.e.s. Étant donné que les cordons de la bourse sont assez serrés ces derniers temps côté politiques de santé, il serait logique d’investir en prévention, car en bout de ligne, c’est pas mal la seule option qui pourrait permettre d’apaiser les hauts taux d’ITSS qu’on observe depuis 25 ans (Chesson et al., 2008).

Dix, onze, douze, fini les partouzes!

Donc, en gros, il faut se dire qu’il vaut mieux prévenir que guérir, même si c’est assez cliché, merci. Le taux d’ITSS est en hausse, que ce soit ici ou ailleurs dans le monde (WHO-2, 2016) et il faut agir maintenant avant qu’il ne soit trop tard (lire : avant l’ère apocalyptique où les antibiotiques ne pourront plus rien pour nous).

Il faut promouvoir le changement des comportements sexuels à risque pour des plus sécuritaires en partageant l’information et en éduquant la population.

Pour ceux et celles en pleine croisade contre la capote, dites-vous qu’il existe d’autres méthodes barrières protégeant contre les ITSS : les peu populaires condoms féminins/internes (mais armez-vous de patience pour en trouver car, je vous garantis qu’au Jean Coutu on trouve de tout tout tout, sauf ça) et peut-être bientôt le condom invisible. Encore mieux, peut-être aurons-nous bientôt accès à des vaccins contre les ITSS les plus courantes. Utopique? Pas tant que ça, étant donné qu’une équipe de recherche de l’Université McMaster a trouvé un nouvel antigène de chlamydia (BD584), pouvant potentiellement être candidat pour un vaccin (McMaster University, 2017). En attendant, comme dirait un de mes collègues :

« Protégez-vous ou restez chez vous! »

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Références
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Pour citer cette chronique :

Gareau, E. (2017, 4 mars). Qui s'y frotte s'y pique. Les 3 sex*https://les3sex.com/fr/news/99/chronique-qui-s-y-frotte-s-y-pique 

infection transmise sexuellement et par le sang, ITSS, chlamydia, gonorrhée, syphilis, herpes, VIH, SIDA, condom, résistance antibiotique, Emmanuelle Gareau

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